Être lecteur émérite de Prescrire n’est pas une fin en soi, certes, je les trouve parfois un peu extrêmes et ce n’est pas la parole sacrée, mais il faut avouer que quand-même, ils sont un bon guide et une référence solide!
Être lecteur émérite sera peut-être une des choses qui feront de moi un bon médecin!
Encore faudrait-il qu’il y ait une définition à « être un bon médecin ». Je ne cherche pas à la trouver, j’essaye juste de faire au mieux!
Pour moi, et cela n’engage que moi, un bon médecin est d’abord quelqu’un qui écoute, qui aime les gens, et qui considère la personne qu’il a en face de lui avec empathie et intérêt.
Sans prétention aucune, je crois que c’est mon cas! J’ai eu tellement à faire à des cons de médecins que je me suis jurée de me souvenir chaque jour des erreurs à ne pas faire, humainement.
Après, cela ne suffit pas, je suis gentille, oui c’est bien beau, mais bon: « Son Médecin était gentille » comme épitaphe, c’est peu réconfortant.
Donc, être gentille, c’est fait, maintenant, va falloir que je sois un minimum compétente.
J’ai conscience de mes lacunes! Je suis nulle en examen clinique, en plus, j’aime pas trop! Je ne fais pas suffisamment déshabiller les patients. Il y en a qui aiment toucher, palper, moi ce n’est pas mon cas. L’examen est la partie de la consultation qui m’embête le plus, déjà, il faut se lever et ça m’embête, c’est mon côté fainéant. J’adore quand j’ai un externe qui fait l’examen à ma place (si ma présence n’est pas requise, sinon je me lève quand-même). Dès fois, il y a des consultations qui ne nécessitent pas d’examen, j’adore! Mais,si patient à la fin me dit « Vous pouvez me prendre la tension docteur » je le maudis.Pour la peine,je sers le brassard très fort et puis je dis 12-8… Déjà que je me fais violence pour prendre celle des gens qui viennent pour ça…et en plus, dès fois, je prends la tension des patients assis au bureau! Han, c’est mal!! Faut vraiment que je travaille la dessus.
Donc, je suis un médecin gentille et fainéante.
Quoi d’autre?
J’ai déjà dit que j’ai deux mains gauches! Du coup, au niveau gestes techniques, c’est très limité…ce qui satisfait bien mon côté fainéant…
À part ça, et bien je fais au mieux pour essayer d’être compétente, formation médicale continue, échanges , remise en question…
Il y a tout ce que je fais de mal et dont je n’ai pas conscience et ça, c’est le pire. Je demande à mes collègues de me faire remarquer si il y a des choses que je fais mal, ou à mon remplaçant. C’est l’avantage du travail en groupe ou des externes/internes. J’ai peur des mauvaises habitudes que je crois bonnes mais si personne ne me dit le contraire, je ne peux pas le savoir. Ah bon le médiator, c’est pas bien, mais fallait me le dire!!!
Et puis il y a toutes les choses que je fais mal mais que je sais que je fais mal. Ça c’est moins pire je pense,non? En avoir conscience, c’est déjà bien. C’est grâce aux échanges, aux collègues, à Prescrire, aux FMC, à twitter que j’en ai conscience.
Du coup, chaque consultation est une lutte avec moi-même, une lutte épuisante et pas toujours remportée pour ne pas céder à la facilité, pour ne pas tomber du côté obscur de la force comme le dit Jaddo! C est tellement tentant ,d’ailleurs tout le monde y cède plus ou moins parfois…c’est le plus ou moins qui est important!
D’abord il y a mes putains de principes qui me pourrissent la vie. Ah,que j’aimerais faire sur le pas de la porte tous les arrêts et certificats et autres renouvellements que l’on me réclame. Que ce serait confortable de répondre oui à la moindre demande (un bon point pour mon côté gentille) et de prescrire sans examiner les gens (un bon point pour mon côté fainéante) ou tiens, truc de fou, ne rien écrire dans les dossiers ou voire même dans le carnet de santé! Et jpourrais en voir plein des patients comme ça dans une journée… Et en plus, personne ne me dirait rien…
Oui mais voilà, j’ai envie d’être un bon médecin, et selon ma définition personnelle, un bon médecin ne fait pas ça.. C’est con…
Alors, du coup, je lutte, et ce n’est pas facile…
J’ai noté pendant une journée tout ce que j’ai fait de pas bien, en en ayant conscience. (je ne vous parle donc pas des graves erreurs que j’ai peut-être fait sans le savoir).Ca en fait des choses quand-même.
-On commence par un renouvellement de traitement de diabète!
Je ne vous parle pas de l’examen clinique très succinct et de la dernière fois où j’ai examiné le pied de ce patient et fait le test du monofilament, il y a très probablement plus d’un an mais là on cumule ma fainéantise avec ma phobie des pieds donc c’est vraiment très dur pour moi, allez je passe mon tour, on verra la prochaine fois… Et puis, il est suivi par le diabèto, deuxième erreur et elle est fréquente, je présuppose que le spécialiste à fait ce qu’il fallait et me repose sur lui.
Je passe peu de temps sur les règles hygièno-diététiques qui sont pourtant primordiales parce que c’est long, difficile, laborieux et décourageant et que là tout de suite, j’ai pas trop le courage.
Je renouvelle la mort dans l’âme les traitements prescrits par le spécialistes dont j’ai déjà parlé ici, même si je sais que l’on n’a pas de recul et que cela est déconseillé par Prescrire parce que ben je sais pas comment faire autrement…
Le patient à mal au genou, il demande des anti-inflammatoires, je lui explique qu’avec le diabète, il vaut mieux éviter, les effets secondaires toussa, mais la dernière fois, un autre médecin lui en a prescrit, il a très mal etc.
Les anti-inflammatoires sont un problème pour moi, les pratiques de mes confrères sont variables, du coup je ne sais pas si j’ai vraiment tort d’être aussi réticente ou si j’en donne trop et puis il y a les habitudes des patients…
Et j’avoue que face à la douleur, je donne probablement trop de médicaments, j’ai vraiment du mal devant quelqu’un qui a mal…
Bref, je lui en prescris quelques jours en lui expliquant le côté exceptionnel de la chose.
En gros, si on reprend, c’était vraiment une mauvaise consultation!
-J’examine un enfant et j’ai l’impression d’entendre un petit souffle cardiaque.Premier problème: je suis nulle en examen clinique, donc jsuis pas sûre de mon coup, et souvent le cardiologue ne retrouve pas le souffle en question. Deuxième problème, comment dire à la mère que son enfant a un souffle au cœur, sans lui faire trop peur mais assez quand-même pour qu’elle fasse ce que je lui dis de faire, d’autant que moi-même je ne suis pas sûre de ce qu’il faut faire et d’ailleurs je ne suis même pas sûre qu’il y a un souffle!
-Les génériques …pff… Nécessiteraient un article à eux tous seuls… Cette fois ci,je suis face à « J’ai vu à la télé, c’est fabriqué en Inde » « Vous guérissez d’un coté, de l’autre vous avez autre chose » Je réponds, j’explique…pas assez, pas le courage de répéter sans cesse les mêmes choses, il faut choisir son combat: à chaque consultation, on ne peut pas livrer tous les combats…
Pour les génériques et pour la prescription en DCI, je ne le fais pas encore assez, mais je lutte, de plus en plus …
-Un patient que je connais bien vient pour, comme il y a quelques mois, des champignons entre les orteils….oui ben c la même chose que j’avais vu de mes yeux la dernière fois, quel est l’intérêt de reregarder? Je n’en vois pas, ça tombe bien rapport à ma phobie des pieds. Je renouvelle le traitement sans l’examiner. Han! C’est pas bien!
-Une consultation sur les MST, je m’aperçois que c’est un sujet que je ne maîtrise pas du tout et que comme à chaque fois que je me suis dit que je devais me former dessus, je ne l’ai pas fait. Du coup, je traite à tort je crois une bébête qui ne nécessite pas forcément de traitement et il se peut même que je dise que c’est une MST alors que en relisant, ce n’est ptet même pas le cas.
Lacune de connaissance… On ne peut pas connaître tous les sujets, certes mais quand-même…
-Les certificats d’absence scolaire: je suis crevée, ce n’est pas mon patient, je n’ai pas envie d’expliquer que ce n’est pas obligatoire etc etc, je le fais, ça va plus vite… juste pour cette fois… Et quelques autres ….
-Un patient n’a pas rendez-vous, je le prends en plus, j’explique que c’est sur rendez-vous etc etc mais je le prends quand-même…Pareil, pour des patients qui viennent à deux alors qu’ils ont RDV pour un… J’explique mais je dis oui quand-même… Juste pour cette fois… Et quelques autres !
C’est juste pour un renouvellement de pilule…c’est une grosse journée, j’ai plein de retard, je regarde le dossier en diagonale, et de mon œil avisé, je vois que c’est OK, je renouvelle sans faire de consultation, sans faire payer bien sur, j’écris juste dépannage, alors que selon ma motivation, je pourrais faire une vraie consultation, parler de plein de choses, prendre la tension…ah, non pas envie!
-Une consultation pour un enfant de 4 ans, une rhino, les vaccins sont à jour, je pèse, je mesure…Je devrais lui dire de revenir, prendre RDV pour la consultation des 4 ans, avec le dépistage des troubles de la vision, du langage etc , mais je ne le fais pas…dès fois, je ne fais pas les choses optimales et me contente du minimum …
– Des fois aussi, je me rend compte que l’on n’explique pas les choses assez! Je dis: « tout est normal » pour un résultat de prise de sang à un patient qui ne sait même pas ce qu’il y avait dedans.Je m’en suis rendu compte quand après il m’a demandé si on pouvait savoir s’il avait le Sida. Ben oui, sérologie HIV négative, il avait pas compris, et j’avais pas détaillé les résultats comme je le fais la plupart du temps.
-J’ai prescrit à sa demande un arrêt d’une semaine à une patiente pour qu’elle se remette de sa virose. Je ne trouvais ça pas justifié et cela m’a agacé mais ce n’était pas ma patiente, je la voyais pour la première fois et j’ai senti un terrain sous-jactent fragile et compliqué. Je pense que si elle en ressentais le besoin, c’est qu’il était existant! Ce genre de situation est heureusement très rare, je propose plus d’arrêts que les patients en réclament, comme je le disais ici, je n’ai qu’exceptionnellement des demandes d’arrêts abusives, bien au contraire.
-Et puis, the last but not the least: les rhinos et autres viroses saisonnières. Là, c’est vraiment une lutte à chaque consultation entre ce qu’il faut faire (éliminer une infection bactérienne, prescrire du doliprane, du sérum physiologique et passer une heure à expliquer le comment du pourquoi et les symptômes qui doivent amener à consulter) et ce que je fais vraiment et qui dépend de ma motivation , de ma forme, de l’heure de la journée, du monde dans la salle d’attente, du jour de la semaine, genre veille d’un week-end ou d’un pont, et également beaucoup de la personne en face, de ses habitudes, de sa faculté de compréhension , de son amabilité, de si c’est mon patient à moi ou pas…Bref, du coup, il y a parfois un gros décalage entre ce que je sais qu’il faudrait faire et ce que je fais.
Mes erreurs conscientes les plus fréquentes sont:
– Voir des tympans parfois plus rouges qu’ils ne sont vraiment, pour avoir une raison de mettre des antibiotiques, de la même façon, j’ai encore du mal à surveiller 48h avant de mettre des antibiotiques dans les otites.
– Je donne trop d’ibuprofène …
– Je donne trop de corticoïdes dans les laryngites
– Des fois, le soir, jfais pas de streptotest et jmet les antibios direct même si j’ai un doute par flemme
– Je donne trop d’antibiotiques je pense dans les bronchites chez les personnes âgées ou sur terrain à risques.
– Je dis aux gens que je ne peux rien faire pour eux mais j’ai du mal à leur dire cruement que c’était pas la peine de venir, je trouve ça un peu vexant…je fais en sorte qu’ils en arrivent à la conclusion eux mêmes.
-J’explique pas tout tout le temps , parce que c’est épuisant.
-J’avais tendance à vouloir les aider quand-même pour me sentir utile et j’aimais bien au début quand je leur donnais tout plein de trucs…j’aimerai y croire encore, c’etait tellement bien…J’ai beaucoup progressé, je ne donne presque plus de sirops, un peu quand-même selon les critères déjà cités, beaucoup moins d’ibuprofène, et ma nouvelle lutte, cette année, c’est les pshitt dans le nez…je progresse, je progresse, bon en même temps, ça m’aide qu’ils soient officiellement dangereux donc déremboursés (oui logique floue) , mais bon j’aimais bien au moins aider les gens à déboucher leur nez, je me sentais utile..en solidarité, je me suis mise moi-même au sérum phy… Ça marche mais c’est cher (efficace mais non remboursé’: logique floue à nouveau) .