On ne mesure pas

Ce matin, en plein milieu d’une matinée comme les autres, j’ai ouvert la porte et dans ma salle d’attente,j’ai vu Mr G.

Mr G. est revenu. Voilà comme ça…

C’était trop dur là-bas. Et surtout il a des projets qu’il ne peut pas réaliser en restant au Mali.

Il s’estime chanceux d’avoir pu revenir, grâce à de l’aide notamment financière qu’il a reçu, sinon ça aurait été impossible.Les passeurs sont très chers…

Depuis plus d’un mois, je n’avais pas eu de ses nouvelles, je vivais ma petite vie tranquille, dans mon petit confort.

Depuis un mois, Mr G. a traversé le Mali en guerre, est passé par la Lybie et l’Algérie, a traversé la mer à fond de cale d’un bateau grâce à des passeurs, a pris le train à travers l’Espagne et la France pour revenir dans un pays qui l’avait rejeté, un mois de périple, motivé  par le désespoir et malgré tout l’espoir d’une vie meilleure,malgré toutes les désillusions…

Pendant ce temps là, moi j’ai vécu ma petite vie confortable et routinière…

On ne mesure pas…

Il est parti 6 mois et il ne regrette pas…Il a revu sa petite soeur, il a été sur la tombe de ses parents, et surtout il a retrouvé l’espoir…il a refait une demande à la préfecture et il a des projets…S’il a un titre de séjour, il pourra faire des allers-retours entre la France et le Mali et mener à bien son projet…

Je croise les doigts qu’ils se réalisent…Je reste circonspecte, mais j’admire sa capacité de rebondir…

Il est revenu avec un dossier, un projet concret, une pharmacie, une association avec des membres de son village. Il cherche des partenaires…

Si vous connaissez une ONG, si vous voulez aider Mr G d’une manière ou d’une autre, vous pouvez me contacter…

Ce matin, mes patients m’ont vu ouvrir la porte de mon cabinet et crier!!!

A cause de la couleur du blé…

Demain, c’est le réveillon de Noël.

Pour une fois, tout est prêt, il faut dire que les préparatifs étaient simples cette année.

Mais demain, les gens seront quand-même malades et en plus, ils voudront qu’on les guérisse de leur rhume avant le réveillon quelques heures plus tard, donc demain je travaille.

Et, je suis triste car dans mes rendez-vous de demain, il y a un patient que je verrai pour la dernière fois.

Alors, j’ai tout préparé, son dossier médical est prêt. Je me suis aperçu que je n’avais pas son compte rendu opératoire d’il y a deux ans, je l’ai demandé à l’hôpital, j’espère que je l’aurai au courrier demain. J’ai préparé ses ordonnances. J’ai préparé des petits cadeaux…

J’ai surtout essayé de me préparer moi. Parce que même si demain, c’est noël, ben moi j’suis triste. Parce que c’est toujours un petit peu triste quand un patient s’en va, mais que là, j’suis particulièrement triste…

Parce que ce patient c’est Mr G.

Parce que c’est un de mes premiers patients…

Parce que Mr G. s’en va en laissant tous ses rêves derrière lui…

Parce que ce n’est pas juste…

Parce qu’il préfère rentrer dans un pays en guerre où il n’a pas mis les pieds depuis 20 ans que de rester ici où on ne veut pas de lui.

Parce que lui et moi, on n’y a cru pourtant…

Parce que là-bas, seule une soeur qu’il a à peine connu l’attend, et qu’il rentre sans rien et que c’est un déshonneur.

Parce que le livre que je devais lui offrir le jour de sa régularisation prend la poussière dans mon bureau et que jamais je ne lui donnerai. J’ai réfléchi quoi lui offrir à la place. C’est sûrement pas bien mais je vais lui donner une enveloppe de billets pour qu’il ne parte pas sans rien, des chocolats parce que c’est Noël, bordel, et mon livre préféré…le Petit Prince évidemment, parce qu’il me manquera, à cause de la couleur du blé…

Parce que c’était mon patient préféré…

Parce que pendant que je fêterai Noël, entourée de gens que j’aime, le sapin inondé de cadeaux, à manger des bonnes choses, Mr G. lui , sera dans un avion, parce que le vol était moins cher.

Parce que du coup, j’ai honte de tout ce que j’ai et j’ai honte de mon pays …

Parce que des Mr G. il y en a des tas…

Parce que je sais pas ce que je vais bien pouvoir lui dire.

Parce que demain, c’est le réveillon de Noël et que Mr G. repart au Mali où rien ne l’attend…

 

(Pour comprendre ma tristesse, il faudrait connaitre Mr G. et pour le connaitre un peu, il faut avoir lu ceci

Franchir la ligne

Parce que chez lui, y’ a rien

Etre né quelque part

Encore un peu d’espoir, ou pas     )