C’était presque une étrangère pour moi…
Pourtant j’ai plus de 30 ans, pourtant je suis médecin…
Mais non, je ne la connaissais pas tant que ça…
Côté personnel, malgré quelques rencontres trop fréquentes à mon goût ces dernières années, je l’avais accueillie avec la résilience adaptée à un phénomène qui est après tout de l’ordre des choses. Elle m’avait fait pleuré certes, bouleversée un peu, mais elle avait parfois été douce et malgré tout, la vie m’avait épargnée longtemps sur ce point.
Je l’ai quand-même trouvée un peu cruelle en s’en prenant à ma grand-mère tant aimée alors que je me trouvais à la maternité!
Encore que, je peux être reconnaissante pour ce moment de grâce d’avoir assisté à la rencontre de ma fille et de son arrière grand-mère (j’ai quand-même dû presque m’enfuir de la maternité avec mon bébé de même pas trois jours, vaincre une panne de voiture par là-dessus mais qu’importe).
Ces rencontres, même si trop fréquentes, ne m’ont pas familiarisé avec elle.
La mort restait une étrangère pour moi!
Pourtant, je suis médecin! Oui mais non…
La première fois que j’ai vu quelqu’un de mort, c’était à l’entrée en deuxième année de médecine: le passage obligé, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, par les dissections. C’était plutôt violent, de mon avis totalement inutile, et finalement assez vite je trouve, on oubliait que l’on parlait d’un être humain. C’était franchement dégoûtant et la seule chose que j’en retiens, c’est de ne jamais mais vraiment jamais donner son corps à la science.
Ensuite, il y a eu les certificats de décès, quand interne de garde, on nous appelait pour signer le certificat de décès d’un patient la nuit. Pour moi, ils se comptent heureusement sur les doigts de la main. Inutile de dire que personne ne m’avait expliqué ce qu’il fallait faire, ni sur la façon de remplir la paperasse administrative, ni sur la façon dont j’étais censée constater… « Ah ben oui : là il est mort … » Pas besoin d’avoir fait des études de médecine!.. Alors quand on me laissait toute seule, j’attendais 5 minutes et puis je ressortais. J’avais regardé assez longtemps pour voir que oui il était vraiment mort (comme on pourrait dire sur twitter: « ….#PPCS Il est mort #Diag ») Quand les infirmières restaient avec moi, je tentais quelques gestes très élaborés histoire de faire crédible, genre écouter au stétho pendant un ptit moment…et après quelques minutes d’un air inspiré,je déclarais « il est mort ».
Ça devenait par contre vraiment pas marrant quand il y avait une famille qui attendait Le Médecin pour poser des questions alors que bien sûr le petit interne de garde n’a jamais vu le patient, ni même lu le dossier avant d’être appelé. Cela doit faire aussi parti des « étapes incontournables ».
Ne voyez-pas de manque de respect dans mon récit, plutôt de l’auto-dérision par rapport à mon incompétence face à la situation.
Depuis que je suis installée, je n’ai fait aucun certificat de décès. Une seule fois, en tant que remplaçante, j’ai été faire un certificat de décès pour un monsieur que je ne connaissais absolument pas. J’y suis allée à reculons en me disant que c’est comme ça qu’on apprend mais bon je n’en menais pas large… Tous les voisins devant la maison…heureusement sa femme avait l’air plutôt de bonne humeur (cela m’a fait pensé à une scène de Friends d’un enterrement où la veuve chante au piano) et m’a bien facilité la tâche! Loin de moi l’idée de la juger, chacun réagit à sa façon, et je suis la première à mon avis à surprendre les gens avec mes blagues pas toujours appropriées.
Et en ce qui concerne les personnes en fin de vie, j’ai eu une formation théorique de qualité mais je n’en ai aucune expérience! Je n’ai pas fait de stage, que ce soit externe ou interne, ni en soins palliatifs, ni en cancérologie, ni en gériatrie. J’ai dû assister de loin en médecine interne à la prise en charge de la fin de vie de deux ou trois patients, à peu près autant aux urgences, bref mon expérience dans le domaine est inexistante et c’est une vraie lacune.
Quand la grand-mère de mon mari est décédée, que son médecin était absent et que, bien évidemment, tout le monde à la maison de retraite savait que j’étais médecin, on me demandait en gros ce qu’il fallait faire, je n’en avais aucune idée! (merci à ma copine de promo qui elle est un super médecin, une vraie quoi, qui fait même des gardes de soins palliatifs, qui m’a conseillé à ce moment là). Quand une infirmière de ma ville m’a appelé pour prendre en charge une fin de vie à domicile, je n’ai pas osé refusé mais j’ai dit que je n’avais absolument pas les compétences requises, que je le ferais si vraiment elle ne trouvait personne mais quel soulagement quand elle m’a dit qu’un autre médecin avait accepté!
Bref, la maladie je connais, je suis même spécialisée dans la maladie compliquée dont on ne meurt pas, mais la mort ça non, je ne connais pas…je ne connais pas les signes avant-coureurs, je ne connais ni l’avant, ni le pendant, ni l’après!
C’est pour ça qu’elle m’a prise par surprise! C’est pour ça que je ne l’ai pas vu venir…et c’est pour ça que je l’ai regardé agir sans rien faire…
J’suis un peu nounouille mais j’ai pas compris. Pourtant, ce n’était objectivement pas une réelle surprise, on nous l’avait même annoncée il y a longtemps! Oui mais voilà, cela n’arrivait jamais, tellement de fois, ça aurait dû arriver, ça a failli arriver et puis non (et pourtant tout le monde y a mis du sien) que j’ai probablement fini par sincèrement croire que ça n’arriverait jamais. On peut appeler ça du déni, de la naïveté, de l’incompétence ou juste du manque de clairvoyance…mais elle m’a pris par surprise…
Sinon, bien sûr, j’aurais fait les choses différemment,
sinon bien sûr, j’aurais dit des choses différentes,
sinon bien-sûr, je l’aurai empêché…une fois de plus…cela ne serait pas arrivé… Mais je n’ai pas vu, pas compris…Si j’avais compris..
Avec des si…
Je sais que j’ai assez de circonstances atténuantes pour ne pas sentir trop coupable (pas trop quoi, juste un peu, de manière adaptée…), mais quand-même…
Il est difficile de ne pas avoir de regrets…
Si j’avais su…ce ne serait pas arrivé maintenant, pas comme ça…la rencontre cette fois ci n’aura pas lieu…
Si j’avais su, j’aurais pu me préparer! Mais peut-on vraiment se préparer à ça?
En tout cas, voilà, maintenant je sais…
Je rejoins le clan des gens, malheureusement très nombreux, qui savent …
Maintenant je sais que de toute façon, on ne peut jamais savoir.
Maintenant je sais que de toute façon, on a toujours des regrets.
Maintenant, je sais la longue et étrange attente du dernier souffle…
Maintenant je sais que je revivrai ces moments terribles…et maintenant je saurai…
Maintenant, je sais comment organiser un enterrement réussi et comment faire pleurer même les plus insensibles …
Maintenant je sais que le soutien des gens que l’on aime est une des choses les plus précieuses…
Maintenant, je comprendrai davantage les personnes, mes patients qui affrontent ce genre d’épreuves.
Maintenant, j’ai plein de questions dans ma tête, des si, des et maintenant, des questions métaphysiques, des questions terre à terre (sur ce qui se passe sous terre),des questions auxquelles je dois répondre …
Maintenant je sais que c’est naïf de croire que la mort est une délivrance, que la maladie et toutes les souffrances qu’elle peut entraîner n’est pas ce qu’il y’a de pire…
Maintenant je sais qu’il n’y a rien de pire que le vide et l’absence… Maintenant, je pense que le pire est à venir…que ce qui est couillon avec la mort, c’est son caractère définitif!
Maintenant, je sais surtout que je ne sais rien…
Maintenant, la mort n’est plus une étrangère …et je dois apprendre à vivre avec elle…
La seule chose que je savais avant et que je sais encore maintenant, c’est que aussi insupportable qu’elle puisse être, il n’y a rien de plus précieux que l’amour d’une mère.