Permis de tuer

En dehors du fait que si l’on y réflechit bien, on a quand-même un peu la vie des gens entre nos mains, quand on devient médecin, on acquiert entre autres responsabilités celle de la prescription.

On nous donne un ordonnancier à notre nom, grande fierté, au début, on a en envie d’encadrer sa première ordonnance ( ma mère a encadré un dessin de ma fille fait sur une de mes premières ordonnances) et puis après, on s’en sert pour écrire tout et n’importe quoi parce qu’il y a toujours un bloc qui traine: la liste des courses, un petit mot d’amour avec PS:n’oublie pas de vider le lave-vaisselle, des cartes d’anniversaire…

Mais quand on y réflechit bien ( heureusement, ce n’est pas mon truc habituellement de réflechir aux choses profondes de la vie ), ça donne quand même des sueurs froides! On a le plein pouvoir d’écrire ce qu’on veut sur cette ordonnance et il n’y a presque personne qui nous surveille. Si je pête un câble là tout de suite, il me suffit d’écrire quelque chose sur mon bloc à tout faire et demain, la personne serait morte! (Ouh comme c’est tentant parfois). Mais non rassurez-vous, quand j’étais en sixième année de médecine, un médecin hospitalier que je ne connaissais pas a fait un certificat disant que j’étais apte psychologiquement à exercer la médecine ( lire à ce sujet ce qu’en a dit Jaddo ici )  Ouf! Je ne pêterai donc pas de cable!

Mais, il me reste quand-même la possibilité d’écrire avec une bonne intention quelque chose sur mon ordonnance et que cela mène à la mort de quelqu’un, pas forcément demain… mais aussi dans des décénnies! Ouille, encore plus flippant!

Heureusement encore une fois que je ne réféchis pas aux choses profondes de la vie, aux responsabilités et tout, et d’ailleurs je ne suis pas la seule! J’ai des sueurs froides dès fois quand je lis les ordonnances de mes confrères ou quand je fais des FMC.

Il faut un peu de temps et d’expériences je pense pour prendre conscience du fait que chaque médicament a des potentiels effets secondaires.Il faut voir ou expérimenter soi-même les effets secondaires des traitements. J’ai la grande chance d’avoir les effets secondaires même les plus tordus de tous les traitements que je prends et je me suis rendue compte que j’avais changé ma prescription après avoir expérimenté moi-même certains médicaments. J’essaye même de limiter mes prescriptions d’ibuprofène (mon externe doit se dire « ben qu’est ce que ça devait être ») depuis mon « ulcère », en tout cas j’en prends plus tous les jours comme avant.

Je sais que je prescris trop et trop mal mais c’est difficile d’atteindre la sagesse de la décroissance de Borée. Je résiste encore, je pense toujours que le rhinofluimucil débouche le nez, que l’ibuprofène ça soulage et que ce n’est pas dramatique de prescrire un sirop pour la toux ( et mince alors mais jusqu’ici je prescivais sans interrogation particulière de l’exacyl). Je pense encore parfois que Prescrire est un peu excessif mais je fais des efforts au quotidien pour prescrire moins: moins de choses inutiles, moins de traitements avec des effets secondaires, moins tout court! Mais, même si je sais que j’ai des progrès à faire sur ce point, je sais que ce n’est pas très grave.

Ce qui m’inquiète le plus et surtout ce qui me donne le plus d’interrogation en ce moment: ce sont les nouveaux médicaments, le manque de recul! Pour moi , c’est un vrai souci. Après le scandale du médiator, les médicaments retirés du marché, je suis perdue!

Je ne sais pas à qui me fier. J’écoutais jusqu’ici bêtement les recommandations officielles, me reposant sur le principe naif que des gens compétents avaient réfléchi à la question et fait la part des choses et qu’il suffisait d’appliquer .

Force est de constater que les autorités compétentes ne sont pas dénuées de conflits d’intérêts.

Entre la thèse de Louis-Adrien Delarue, les informations pertinentes de Dominique Dupagne sur Atoute, les synthèses de qualité du Dr du 16 ( comme par exemple cet article sur le vaccin sur la méningite C qui m’a beaucoup contrariée moi qui suis pro-vaccin à fond ), je regrette le temps jadis pas du tout lointain où je ne connaissais pas la blogosphère médicale et où je vivais dans l’obscurantisme .

Moi qui n’aie jamais aimé les lectures critiques d’article, qui n’aime pas réfléchir longtemps, qui aie un esprit critique peu développé, je voudrais simplement qu’il y ait quelqu’un qui réfléchisse pour moi et qui me dise quoi prescrire. Quelqu’un en qui je pourrais avoir toute confiance et qui serait indépendant et dénué de conflit d’intérêt.

Et oui, je ne suis pas une lectrice émérite et ils m’énervent parfois mais heureusement que La Revue Prescrire existe.

Maintenant au quotidien j’ai peur, j’ai peur qu’un jour on me reproche d’avoir prescrit un médicament qui bien qu’ayant l’AMM et étant recommandé par l’HAS aura tué des gens. Je me sens seule et je ne sais pas à qui me référer.

Mon problème concret actuellement, ce sont les nouveaux traitements du diabète.

Mon dernier stage d’interne était en diabétologie il y a cinq ans. J’étais contente, je me suis dit que si il y a au moins un sujet que je maitriserai, ce serait le diabète. Or, en cinq ans, une classe entière d’antidiabétiques oraux à été retirée du marché parce qu’on s’est aperçu qu’il y avait des effets secondaires graves, de nouveaux médicaments sont arrivés sur le marché et tout le monde semble les prescrire sans plus d’états d’âmes que ça!

Je ne connaissais pas bien cette nouvelle classe médicamenteuse que sont les incrétines et l’afflux de tous nouveaux noms de médicaments. Comme je ne reçois pas les labos, j’étais un peu dépassée, j’ai demandé l’avis de mes anciennes chefs diabéto qui sont des médecins que j’estime et des consultations desquelles tous les patients ressortent sous januvia ou Byetta. J’ai lu prescrire. J’ai fait une FMC le mois dernier qui m’a mis les idées au clair sur les différentes molécules, leur mode de fonctionnement, leurs indications éventuelles, les études etc …Et bien, je suis toujours aussi perdue!

Les études ont prouvées une baisse de la glycémie avec ces médicaments, mais aucune étude à ce jour n’a prouvé une baisse de la morbi-mortalité. Les études devraient arrivées en 2014. Il n’y a en outre pas de recul et rien de permet de dire qu’il n’y aura pas d’effets secondaires à moyen ou long terme.

Donc, après le scandale du médiator et après le retrait des glitazones, la conclusion s’impose d’elle même! Personnellement, je ne me sens pas du tout de prescrire ces nouveaux médicaments pour le moment.

D’autant plus que la promotion de certains qui est pourtant une injection comme l’insuline se fait sur le fait que cela fait perdre du poids ….inquiétant …

Oui, mais…

– D’abord, cela ne semble gêner que moi!

Les diabétologues ont semble-t-il tous adopté ces nouveaux traitements.

Les généralistes un peu moins mais je pense que pour la plupart c’est plutôt par méconnaissance. Lors de la FMC, une fois que l’expert a fait son topo, presque tout le monde a prescrit ces nouvelles molécules lors des cas cliniques. J’ai fait ma rebelle et pourtant ce n’est pas du tout mon genre. Je n’ai pas arrêté de poser des questions embarrassantes. L’expert était pourtant mesuré et a bien dit qu’il fallait privilégier les molécules anciennes et ayant fait leur preuve et a surtout fait la promotion de la metformine mais à la fin, il nous a présenté la conférence de consensus de 2007 en remplaçant tout simplement les glitazones par les incrétines, ben oui pourquoi pas?

Timidement, je demande: » Excusez-moi, mais dans votre tableau, ce sont les recommandations officielles ou c’est niveau de preuve vous-même ? »

Et quand l’animateur demande si on veut que l’expert donne plus de niveaux de preuve et qu’un participant répond « Non moi tout ce qui m’intéresse c’est son expérience personnelle », je m’inquiète …

– Ensuite, qu’est ce que je fais de mes patients, ceux qui ont un diabète totalement déséquilibré, qui refusent catégoriquement l’insuline et qui ont une hémoglobine glyquée toute pourrie à 9, 10, 11%. Parce que en pratique, c’est ça. S’ils ne veulent pas faire d’injections d’insuline, je ne peux pas leur faire de force. Si je parviens à les envoyer chez le diabétologue, ils ressortiront de toute façon avec ces nouveaux médicaments et dans ce cas là, qu’est ce que je fais? Je renouvelle hypocritement, je refuse…Ceux qui ne vont même pas chez le diabéto, n’est-ce quand-même pas un moindre mal de leur prescrire ce médicament même sans le recul qu’il faudrait que de laisser les complications du diabète s’installer.

Ce n’est pas si simple, ce n’est pas tout blanc ou tout noir..

Et à mon grand désarroi, il n’y a rien de vraiment tangible à quoi se rattacher et en fin de compte, je suis seule devant mon ordonnancier, le stylo à la main …

Grosse pression, grosse responsabilité…Heureusement que la plupart du temps, je ne réfléchis pas 🙂

12 réflexions au sujet de « Permis de tuer »

  1. J’ai eu cette grosse remise en question il y a quelques mois, après quelques lectures remettant en cause certains vaccins. Et les mêmes questions que toi :

    Mince mais si on ne peut pas se fier aux recommandations officielles des sociétés savantes on fait quoi ?
    On est responsable de ce qu’on prescrit, mais sans sources fiables pour être sûr de ce qu’on fait ??? Alors je fais quoi moi ? Et je dis quoi à mes patients qui ont des doutes si j’ai les mêmes doutes qu’eux ???

    J’en ai parlé à mon docteur-super-prat de l’époque qui m’a dit tranquillement qu’il fallait en avoir conscience et que c’était déjà bien. Que depuis des dizaines d’années des traitements étaient annoncés comme la panacée puis descendu en flèche quelques années plus tard… Qu’il fallait juste être honnête avec nos patients : au vu des connaissances actuelles, nous pensons que c’est ce traitement qui est le mieux pour vous. Peut être que dans 10 ans on s’apercevra que c’est pas le cas et qu’il y a mieux, la médecine évolue sans cesse… mais au jour d’aujourd’hui c’est ce qu’on vous conseille.

    Mais je suis toujours d’accord, c’est vraiment une lourde responsabilité, quand le patient est pendu à nos lèvres « Et vous docteur, vous pensez que je dois prendre ça ? »

      • Moins maintenant. Il y a encore quelques mois ou années je n’avais pas conscience de tout ça, et j’en mettais dès que la metformine ne suffisait plus, tellement on m’en avait vanté les mérites.
        Maintenant je reviens sur des molécules plus anciennes en première intention (enfin en deuxième) mais je ne m’interdit pas de les prescrire si le diabète est vraiment déséquilibré et qu’on a essayé le reste…

  2. Jusqu’au concours, j’étais scotché aux dernières reco de l’HAS et compagnie. Après le concours, je me suis abonné à Prescrire, j’ai commencé à m’informer de façon un peu différente, à écouter des petites voix divergentes (formindep, docteurdu16), à m’ouvrir à des sources un peu dissidentes.
    Puis il y a eu l’affaire des recommandations de l’HAS sur la maladie d’Alzheimer et sur la prise en charge du diabète, depuis longtemps remises en cause par Prescrire. Évidemment l’affaire du Médiator.
    Je me disais, comme toi, Prescrire c’est des intégristes, heureusement qu’on les a, mais quand même, des fois, ils abusent. Et puis progressivement, des molécules qu’ils accusaient depuis longtemps ont progressivement fait l’objet de mise en garde, de retrait d’AMM, voire de retrait du marché. Et je me suis dit « merde, pas si fous que ça chez Prescrire ».
    Je pense qu’en tant que généralistes, nous avons un panel de possibilités parmi les molécules anciennes et éprouvées, et que ces nouvelles thérapeutiques devraient restées prescription d’exception, tant que toutes les voies « sûres » n’ont pas été explorées.
    Je garde un souvenir particulier de mon stage en diabétologie. C’était en plein retrait des glitazones, simultanément à l’arrivée des incrétines, dont je retiens que les spé l’utilisaient surtout pour la perte de poids dont elles s’accompagnaient. Parallèlement, les premières patients mis sous Exenatide (Byetta) revenaient pour déséquilibre de diabète : le pouvoir amaigrissant de ce traitement se perdait au bout de quelques années et avec, revenait le déséquilibre des glycémies.
    Je me souviens aussi du discours manipulateur, frisant avec la malhonnêteté intellectuelle, des « experts » qui nous faisaient des staffs dont le buffet était sponsorisé par le laboratoire de ladite incrétine.
    Bref, je continuerai à lire Prescrire et regarderai encore un moment ces dernières avancées thérapeutiques avec mon oeil sceptique.

  3. Moi ça me rassure énormément, les médecins qui ont peur. Un mec qui me prescrirait des médocs en rafale parce-que-c’est-sûr-que-c’est-bon-faut-pas-hésiter, ça me mettrait pas vraiment en confiance. Alors n’hésitez pas, doutez ! 😉

  4. Mais non, tu n’es pas seule… Moi aussi je regrette le temps où je pensais avoir des connaissances solides (cela commence à remonter un peu mais pas temps que cela)… Je ne sais plus trop quoi prescrire, du coup souvent je ne prescrit rien (ou du PARACETAMOL si douleur, parceque si la fièvre est bien tolérée, ce n’est pas la peine d’en prendre. Du coup, les patients sont peut-être moins bien soulagés, et cela n’empêche pas qu’ils aient des effets indésirable lorsque je leur prescrit qq chose…
    Et les antibiotiques : théoriquement, leur utilisation devrait être exeptionnelle (uniquement les cas qui étaient mortels autrefois ou presque)… Mais lorsque je prescrit un ATB à une patiente parceque j’ai un doute sur l’auscultation pulmonaire et que sa toux sans fièvre qui durait depuis un mois ou plus disparait en qq jours, je me dis que je devrais en prescrire plus souvent…
    Et le plus souvent, je me dis que je devrais en prescrire moins.
    Merci pour ton blog

  5. Je me sens moins seule, merci!! Moi aussi, je suis perdue au milieu de tous ces médicaments, et en particulier ceux du diabète. En plus, je suis actuellement en SASPAS, et avec tous ces maitres de stages qui n’ont pas du tout le même avis sur la question, ça engendre plus de questions que de réponses!
    Mais bon, je me dis que le jour où je trouverais le temps de vraiment lire tous ces Prescrire que je reçois, et peut être un peu d’expérience, je trouverai mes réponses… enfin j’espère!

  6. Sans être Rabat-Joie il y’a quand meme la validation de l’ordonnance par le pharmacien….

    Essayer d’écrire KCL injectable sur une ordonnance et on verra ce qu’il se passera… ou pas!!!!

  7. Histoire d’en rajouter une couche, une meta analyse des essais randomisés concernant l’effet du traitement intensif de l’ hyperglycémie chronique des patients diabétique de type 2 ( publiée dans Exercer de nov-dec 2011) a comme résultat principal: « aucun impact sur la mortalité totale ou cardio vasculaire, réduit très modestement les IDM non fatals et l’apparition ou l’aggravation d’une micro albuminurie, au prix d’une augmentation importante des hypoglycémies sévères. Conclusion du rédacteur en chef de la revue (résumée): on peut arrêter de s’acharner a faire descendre l’Hba1c sous 7 voire 8% car les bénéfices sont modestes voire incertains et les risques élevés( en revanche abaisser la PA et le LDL apporte un bénéfice important). Donc en ce qui me concerne je vais éviter les nouveaux tt et en rester à la metformine+/- sulfamides+/- insuline…avec des objectifs tranquilles d’Hba1c.
    Bon courage à tous dans cette endémie de diabète de type 2 qui est loin de vouloir se tarir…
    LBV

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