Je dois être encore trop jeune et manquer d’expérience, mais j’ai encore du mal à laisser partir les gens sans ordonnance à la fin de la consultation. A mon avis, je prescris trop de médicaments, parfois même en sachant que ça ne sert à rien mais il est difficile de ne rien prescrire. Je m’y efforce, je progresse doucement …
Beaucoup de consultations se terminent par des conseils de bon sens, c’est de l’improvisation bien sûr et peut-être que de la même manière que je prescris probablement des médicaments à mauvais escient, mes conseils sont-ils parfois inadaptés. En tout cas, ils sont souvent utopiques.
Dans mes conseils de bon sens, je prescris beaucoup de repos, de détente, de loisirs même…
Il n’y a pas de recommandations officielles de la Haute Autorité de Santé sur la façon de vivre sa vie. Pourtant l’OMS définit la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Donc, je prescris selon mes propres référentiels.
Et moi, de plus en plus, mon credo dans la vie, c’est qu’il faut prendre du temps pour soi, du repos, de la détente, mais juste pour soi.
Il faut en fait un temps pour chaque chose, pour sa famille, ses enfants, un temps à consacrer à son conjoint, à sa vie amoureuse,un temps pour sa vie professionnelle, un temps pour ses amis, un temps obligatoire pour les tâches de la vie quotidienne, mais également un temps pour soi!
C’est ma conception à moi de la santé, d’une vie épanouie.
Mais force est de constater que peu de gens se payent ce luxe, pour des raisons matérielles ou psychologiques.
Beaucoup ont une vie difficile, de tristesse, de travail…mais beaucoup aussi ne prennent pas conscience qu’il faut prendre soin d’eux, ne s’en accordent pas la permission… Je me sens le besoin, l’obligation de leur dire. Cela fait parti de mon travail de médecin me semble-t-il…
Cela dit j ai aussi ce défaut avec les gens qui m’entourent et qui ne m’ont rien demandé. Bref, j’aime bien donner des conseils à ceux qui ne m’en demandent pas.
C’est que ça me fait vraiment du mal de voir quelqu’un qui va mal, qui ne prend pas soin de lui et étant la championne du « un temps pour chaque chose » et en particulier pour la détente égoïste, un peu moins pour les tâches désagréables de la vie quotidienne, je me sens un peu missionnée.
J’ai une vie plutôt privilégiée mais j’ai comme tout un chacun mon lot de difficultés à gérer et ce n’est pas toujours facile, alors moi mon truc, c’est dès que possible de garder du temps libre pour moi, pour faire ce que j’ai envie: rester affalée sur le canapé sans être le moins du monde gênée par le bordel autour de moi, sécher le boulot pour aller m’enfermer en plein après-midi seule dans une salle de ciné, laisser ma fille à la cantine pour aller me faire un hammam avec une copine, déclarer que le samedi je ne bosse pas je m’occupe de ma fille mais ne pas hésiter à la laisser dormir régulièrement chez la nourrice pour sortir en amoureux avec mon mari…
La clé de tout ça, c’est de ne pas culpabiliser, de se laisser aller en se disant que c’est sain et que c’est bon pour tout le monde, que y’a pas que le ménage et le boulot dans la vie, que les enfants ont besoin de voir leurs parents amoureux et heureux, que les laisser pour faire quelque chose d’égoïste, c’est bien pour eux aussi, que la vie de couple c’est important aussi, que des fois juste ne rien faire, c’est bien aussi!
Le tout est de trouver le bon équilibre.
Alors,j’essaie de partager le concept un peu fou que la vie, si on veut la vivre longue, heureuse et en bonne santé, il faut prendre soin de soi physiquement,moralement et socialement …c est pas moi qui le dit, c’est l’OMS!
Et sinon, on fini avec des dépressions, des véritables troubles musculosquelletiques, des lombalgies, des vertiges, des chauderies hémicorporelles gauches….
Hier, j’ai vraiment prescrit des loisirs.
Mme B. me rend folle. Elle a 48 ans, elle a toujours travaillé très dur depuis sa petite enfance, il y a sûrement quelque chose qui vient de là. Elle travaille tout le temps et en dehors du travail ne se pose jamais, se lève à cinq heures du matin pour faire ses carreaux, ne fait jamais rien que l’on ou en tout cas que je peux qualifier moi de « loisir ». Elle a tellement tiré sur la corde que maintenant elle est en arrêt avec le bras immobilisé depuis plusieurs semaines. Médicalement, je ne peux pas faire grand chose pour elle alors pendant les consultations, j’oriente plutôt le sujet sur ce qu’elle fait de ses journées, puisqu’elle est en arrêt et qu’elle est censée se reposer… Mais quand on n’a jamais appris à se détendre, à prendre du temps pour soi, je crois qu’on n’y arrive pas comme ça…Je ne suis pas sûre que mes tentatives aboutiront à quelque chose. J’etais en train de lui suggérer d’aller au ciné, je sentais bien qu’elle n’irait pas, j’ai pensé alors que j’avais dans ma poche des places de ciné pour un film qui sort la semaine prochaine (j’ai un frère qui bosse dans le domaine), alors je lui ai donné en me disant que du coup elle allait se sentir obligée d’y aller et que elle aura au moins fait une sortie en famille, en espérant que le film sera bien…déjà en voyant les acteurs sur l’affiche, elle a dit: « j’peux pas les voir eux! » C’est pas gagné!
En tout cas: voilà l’ordonnance que je lui ai remise!
J’ai aussi incitée Madame H. jeune maman au foyer de 3 enfants du genre, et il y en a beaucoup, qui fait tout à la maison et ne se sépare jamais de ses enfants, et en début de burn out évident, à les laisser en garde à quelqu’un, à les laisser à la cantine et se faire une journée rien que pour elle, et également à sortir avec son mari en tête à tête, à prendre du recul avec l’idée d’être une mère parfaite, la perfection cela n’existe pas mais je pense qu’une bonne mère est une mère épanouie. J’ai aussi abordé le sujet du partage des tâches ménagères, ayant un mari qui en fait bien plus que moi et qui avait pris un congé parental de six mois à la naissance de ma fille cela me paraît naturel mais culturellement, c’est un message difficile à faire passer…
Ensuite, j’ai reçue Mme H. en consultation, patiente algérienne de 55 ans, que je voyais pour la deuxième fois.
La première fois, quand je l’ai vu arrivée avec ses douleurs aussi diffuses qu’imprécises, j’ai poussé un soupir de découragement, ensuite quand elle m’a décrit une authentique chauderie hémicorporelle gauche, j’ai souri intérieurement et ça m’a donné la force de prendre mon courage à deux mains pour essayer de faire du bon travail. Après avoir identifié les problèmes médicaux principaux, dont une tendinite évoluée de l’épaule gauche, lors de la deuxième consultation, j’ai surtout essayé de connaître un peu sa vie pour comprendre dans quelle mesure les traitements auront de l’effet, le traitement essentiel, le repos, étant souvent le plus difficile à obtenir. Effectivement, veuve, elle s’occupe de tout depuis toujours et le repos semble difficilement envisageable. Ses enfants de 19 et 22 ans ont semble-t-il pris l’habitude que leur super maman s’occupe de tout et cette super maman n’a jamais envisagé d’arrêter de laver leur sous-vêtements à la main…et maintenant étonnamment quand elle leur demande de l’aide, ils ne sont pas réceptifs…
Il y a beaucoup dans ma patientèle de patientes d’origine maghrébine, mères ou grand-mères, fatiguées, avec des douleurs articulaires, des tendinites, qui s’occupent de tout, de la maison, des enfants, des petits-enfants… J’ai du mal à les soigner. Comme ce n’est pas ma culture, j’ai du mal à trouver les mots je crois, j’ai peur d’être maladroite, je ne veux pas les heurter, ces femmes souffrent et pas que physiquement mais je ne sais pas comment les aider. Je prescris des médicaments, de la kiné, j’essaie de discuter, et je leur dit de se reposer…elles ne le feront pas …
J’ai remis à Mme H. cette ordonnance, pour qu’elle l’accroche sur son frigo et que ces enfants la voient.
Voilà, c’était mon billet rêveur du jour..
si pour une fois mes prescriptions étaient écoutées …