Elle a 13 ans, elle est d’origine algérienne, elle est mignonne comme tout , je suis toute sa famille depuis leur emménagement il y a 6 mois dans le quartier. Ils viennent de l’autre bout du département, sont un peu perdus depuis qu’ils sont ici.
Je l’ai vu avant les vacances en avril , j’ai mis ses vaccins à jour, et je la revois aujourd’hui pour un certificat de sport. Elle a l’air fatigué et triste. C’est le collège me dit-elle d’un air lasse. Alors que le quartier où ils habitent et où je travaille est tout a fait correct,son collège de secteur est en effet au milieu du quartier le plus difficile, celui qui fait la une des journaux de temps en temps …
Elle est en quatrième, elle est sérieuse et bonne élève, son ancien collège était correct semble-t-il. Elle me dit d’un air vraiment désemparé « Il faut déjà vingt minutes pour qu’ils s’assoient, ensuite vingt minutes pour qu’ils se taisent , il reste dix minutes pour travailler … » Il y a déjà eu une bagarre entre deux élèves de sa classe dès la première semaine,les élèves se bousculent un peu entre eux, cependant il n’y a pas de climat de peur ou de violence, elle voudrait juste pouvoir écouter et apprendre en paix. Envie légitime …et mature . En plus, elle est nouvelle, tout le monde se connait, c’est déjà une difficulté en soi, elle a quand-même réussi à se faire une copine mais son air triste me touche .
En cinq mois, elle a pris neuf kilos, c’était l’été, elle a fait le ramadan, elle grignote beaucoup, et ce n’est pas la seule dans sa famille. Elle est en surpoids important. C’est peut-être le fait d’un mal-être mais c’est plus que ça, toute la journée, j’ai vu des enfants en surpoids. Milieux défavorisés, sédentarité, identité culturelle, c’est un vaste sujet, mais en ce moment avec les certificats pas forcément si à la cons que ça , je suis submergée par les enfants en surpoids et mon incompétence à faire façe au problème. J’essaye vraiment, mais je suis découragée devant l’ampleur de la tâche…
On discute un peu. Que lui dire ? En tant que médecin, je me dois d’être vigilante, j’ai repéré qu’elle n’était pas bien et je la suivrai de près.
Mais en tant que citoyen, en tant que maman, que lui dire ? Je ne sais pas trop quoi en penser. Je sais que je vis dans un monde de bisounours, mais j’aime mon département , je le défends même, je viens d’acheter une maison dans cette ville que beaucoup fuient, j’ai inscris ma fille à l’école publique qui bien que taguée et manquant cruellement de moyen est je trouve de grande qualité. J’ai en grande partie emmenagé dans ce quartier pour me rapprocher de la nourrice de ma fille. Elle et sa famille sont devenus pour nous une seconde famille. Elle est marocaine, j’ai découvert une culture et des gens formidables. C’est pour nous et pour ma fille une grande chance de les avoir dans notre vie et de manière plus générale la mixité culturelle est je pense un grand enrichissement. Je pense que c’est bien pour nous.
Mais également, je me demande : si tous ceux qui le peuvent fuient la Seine-Saint-Denis, et les endroits difficiles en général, s’il n’y a plus de mixité sociale mais seulement des ghettos pour les plus défavorisés, si tout le monde met ses enfants dans le privé, quel est l’avenir ? Si moi, médecin je ne mets pas ma fille dans le public et si je ne m’investis pas dans la vie de son école, qui va le faire? Quel est l’avenir de l’école publique ? Si moi, je ne m’installe pas en tant que médecin en Seine-Saint-Denis, qui va le faire ? C’est vrai qu’il y a une partie de moi qui ressent un certain devoir envers mon département.
Face à tout ce qu’on entend aux informations, face à tous les faits divers, face aux préjugés, face aux véritables difficultés ;parce que tout ça est vrai, je ne le nie pas , je ne pousserai pas la mauvaise foi jusqu’à dire que la vie y est douce et que ce qu’on entend est faux; je voudrais apporter le témoignage de tout ce qui est beau, que la majorité des gens sont adorables et d’une extrême générosité, souvent plus qu’ailleurs, que la diversité socio-culturelle c’est parfois magnifique, que cela offre une ouverture sur le monde et sur les choses. Je voudrais parler de tous ceux qui se donnent à fond pour que ça marche, des éducateurs, des instituteurs, des associations, du dynamisme de certaines municipalités, des programmes culturels, de certains médecins ou infirmières et autres travailleurs sociaux qui y croient encore. En tant que médecin, j’y reviendrai plus longuement mais je voudrais dire à quel point j’aime travailler ici …
Contrairement aux apparences, je ne suis pas complètement naive.
Tout d’abord, je dois bien reconnaitre que je n’ai jamais habité dans une cité, j’ai eu une jeunesse relativement préservée, j’ai eu la chance de faire des études et je fais maintenant partie d’une catégorie dite aisée. Je n’ai pas eu à faire façe à des problèmes qui ne sont pas propres à la Seine-Saint-Denis mais aux quartiers défavorisés quelque soit le département et je n’ai peut-être pas la légitimité d’un tel discours. Mais c’est justement ça que je veux dire, la Seine-Saint-Denis n’est pas homogène.
Je garde malgré tout mon esprit critique. J’ ai été victime de vols plusieurs fois, encore très récemment je me suis fait voler mon ordinateur portable mais cela aurait pu arriver partout, par un mauvais concours de cironstances, il était resté sur la plage arrière de ma voiture toute la journée sur un parking mal famé, faut pas chercher non plus. J’ ai eu il y a quelques années un mini stress post traumatique après une mini agression. Ca m’embête bien quand-même que les jeux derrière chez moi aient été brûlés pour la troisième fois, que l’école de ma fille soit taguée. Je ne suis pas rassurée quand je rentre tard le soir dans le parking sombre de la gare ou quand je vais en visite dans certaines cités bien que récemment les dealers qui fouillent à l’entrée ont été remplacé par les policiers.
Surtout, je ne suis pas naive sur le fait que mon discours finira probablement par changer. Quel sera mon discours si je me fais cambrioler, agressée, insultée plusieurs fois , si je suis fatiguée de voir la misère autour de moi, si je suis fatiguée des incivilités, de la peur ? Surtout quel sera mon discours quand mes enfants seront grands et souffriront de ça.
Comment est-ce que je réagirai quand je reconnaitrai dans les yeux de ma fille la tristesse que j’ai vu dans ceux de C.?
Je n’ai pas la prétention de dire que je ne ferai pas comme les autres et que je ne mettrai pas mes enfants dans le privé, que je ne dévisserai pas ma plaque , que je n’irai pas vivre où la vie est plus facile …
Je peux juste espérer que cela n’arrivera pas ..
Pour C. , je ne sais pas quoi dire…elle est le reflet des problèmes qui existent, que je ne nie pas, face auxquels je suis désarmée…Je voudrais juste dire qu’ils ne définissent pas à eux seuls la Seine-Saint-Denis, que C. vous le verriez si vous la connaissiez est également le reflet de tout ce que ce département a de beau …