Ouverture sur le monde

Métro, boulot, dodo… Le quotidien, les journées qui passent les unes après les autres font en tout cas pour ma part, que j’oublie qu’il y a autre chose que ce qui fait ma vie chaque jour. J’ai tendance le nez dans le guidon à penser, inconsciemment,que le monde se réduit à mon petit univers, sans me poser de questions…

Parfois, quand j’ai la chance de voyager dans d’autres lieux, d’autres pays, le fait que le monde est immense, qu’il y a d’autres univers à découvrir, des quantités d’autres vies que la mienne, que mon petit univers est en fait bien insignifiant , se rappelle à moi…

Quand je voyage, j’aime découvrir les gens, le monde et je me dis qu’il n’y a que les routes qui sont belles, qu’il faudrait passer sa vie à voyager pour voir une infime partie de ce qu’il y a à voir…

Mais le voyage prend fin, et la vie reprend son cours… Métro, boulot, dodo …et on reprend sa vie, dans son petit univers…

Il ne tient qu’à nous de ne pas oublier qu’il y a d’autres choses à découvrir, par la lecture, les expositions … Mais honnêtement au quotidien ,on ne le fait pas forcément…

Les gens que l’on côtoie en règle générale nous ressemblent, ont des histoires similaires, des préoccupations similaires, font parti de notre petit univers…

Moi, ce qui me permet de m’ouvrir sur le monde, c’est mon travail: c’est la médecine générale, et c’est la Seine-Saint-Denis…

Parce que chaque jour, mes patients sont le témoignage qu’il y a tout un monde que je ne connais pas. Je vois tellement de personnes d’origine, de culture différentes. Ils ont des histoires passionnantes à raconter, pour peu qu’on les écoute.

Je le fais de plus en plus. Avec le temps qui passe, certains patients que je connais de mieux en mieux , je me rends compte de plus en plus de tout ce qu’ils ont à dire, et j’ose de plus en plus facilement posé des questions…

Avec le patient malien de 30 ans qui est constipé, je réussis plus facilement à engager la discussion et face à ce jeune homme du même âge que moi qui me raconte son périple du Mali à la France en passant par la Chine, je me dis que je suis bien peu de choses …

Plus tard, c’est un patient qui est un artiste connu et qui a participé à une émission de téléréalité dans un pays d’Europe de l’est qui me raconte des histoires cocasses…

Ensuite, c’est un vieux monsieur algérien dont je soigne la bronchite mais en regardant les rides de son visage, j’entrevois une vie d’histoire dont j’ignore tout mais que peut-être la prochaine fois il me dévoilera un peu …

J’ai une chance inouïe, je n’ai pas besoin de voyager à l’autre bout du monde, le monde est sous mes yeux tous les jours… C’est un cadeau.

Il ne tient qu’à moi de saisir cette chance, en ne voyant pas les patients que comme des personnes présentant telle ou telle symptôme ou pathologie, mais comme un tout, et pour les soigner correctement , il me faut connaître leur histoire, comprendre qui ils sont, et cela est très enrichissant pour moi…

Mon métier est passionnant car il permet de decouvrir des tas de choses, de faire des choses diverses.

Par exemple, en plus du cabinet à proprement parlé qui est déjà une source de rencontres variées, j’ai ce mois-ci assisté à des consultations au planning familial, ce qui est pour le médecin et la femme que je suis une opportunité incroyable de découvrir la vie des femmes en dehors de mon petit univers à moi.

J’ai également assisté à des consultations dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance dont je suis officiellement le nouveau médecin en titre. Même si ce que j’y découvre est dur, c’est encore une expérience enrichissante.

Le mois dernier, j’ai passé une soirée au foyer de migrants qui se trouve pas trop loin du cabinet et dont nous soignons pas mal de patients, en majorité des maliens. Il y avait une soirée débat autour d’une projection sur un documentaire qui se nomme mémoire d’immigrés. Ce documentaire qui montre l’histoire de l’immigration et les conditions dans lesquelles on est allé recruter la main d’œuvre, nécessiterait à lui tout seul de longs commentaires et devrait soit dit en passant être diffusé dans les écoles. Ensuite, le débat tournait autour de l’histoire du foyer et des ses occupants. Peu à peu, les gens, certains mes patients, se sont mis à parler de leur vie, de leur histoire… J’ai découvert beaucoup de choses, sur ces patients que je côtoie, sur ces voisins que l’on ignore. Bien sûr, nous avons été très bien accueillis, je regrette juste que le buffet ait été offert par la mairie, j’aurai préféré partager leur maffé… mais j’aurai peut-être l’audace de me faire inviter une prochaine fois… En tout cas je sais que je serai accueillie les bras ouverts, aussi bien d’ailleurs si je voulais aller le manger au Mali même…

J’ai aimé cette soirée, j’aime le fait que mon travail me rappelle chaque jour que mon petit univers n’est pas le centre du monde, j’aime le fait qu’il me permette d’entrevoir au quotidien ce que je ne connais pas.

J’aime travailler en Seine-Saint-Denis.

Je pense que ce n’est pas propre à la Seine-Saint-Denis mais je pense que la spécificité de ce département fait que c’est quand même une mine d’or pour qui veut bien voir en chaque habitant de ce département une ouverture sur le monde ….