On m’a fait remarqué et à juste titre que je m’étais un peu éloigné du cabinet pour me centrer sur ma vie. Que l’on me pardonne cet accès d’égocentrisme, les blogueurs comprendront aisément je pense la tentation de se servir de l’écriture à visée thérapeutique et de s’en servir d’exutoire.
Je vais donc me recentrer et raconter une matinée au cabinet, prise arbitrairement aujourd’hui, pas spécialement représentative, juste une matinée de médecine générale.
Je ne parlerai pas de ma vie privée mais il faut garder en tête que celle-ci rentre toujours en compte, on est toujours plus ou moins pressé, angoissé, préoccupé et cela influe sur le déroulement de la journée .
Habituellement, je ne travaille pas le mercredi matin, je n’ai pas encore réussi à passer le cap de travailler tous les jours comme les vrais gens. Je trouve l’idée de travailler systématiquement tous les jours terrible. Je me suis donc installée en tant que collaboratrice libérale et j’ai plusieurs demi-journées de libre, pendant lesquelles je fais parfois des remplacements dans ce que j’appelle mon cabinet secondaire. Bref mon emploi du temps change tout le temps, mes patients me cherchent d’un cabinet à l’autre, il n’y a pas de routine, je peux faire l’école buissonnière quand j’ai envie, j’aime ça .
Généralement donc, je ne travaille pas le mercredi matin, j’ai donc accepté de travailler dans le cabinet où je suis la remplaçante en titre depuis 4 ans. Il faudra que je me rappelle pour l’année prochaine que quand on a la possibilité de rester couché le mercredi de la rentrée, on le fait.
Première étape, se garer dans le parking souterrain sans abîmer encore ( trois fois de suite au même endroit ) la voiture plus du tout neuve. Presque un succès, sauf qu’en partant j’ai trouvé un mot sur mon pare-brise de ne pas se garer sur l’emplacement des autres : oups je me suis trompée de place! C’est toujours mieux que l’amende que j’ai eu hier, les policiers sont entrés dans le cabinet chercher le fautif mais personne n’a pensé que c’était le médecin qui était mal garé !
Ensuite, j’ai la bonne surprise de me souvenir que j’étais toute seule ( cabinet de trois médecins) et que mon emploi du temps était déjà complet. Heureusement que dans ce cabinet, il y a D. la secrétaire qui en dehors d’avoir l’avantage d’être une vraie personne ( en opposition au secrétariat à distance de mon cabinet ) est une personne super que j’adore.
L’emploi du temps de la journée comporte des répétitions, les membres d’une même famille viennent par deux ou trois, ouh ça sent les certificats ça!
Première consultation, personne… Cela commence bien, bon ça me laisse du temps pour aller voir twitter et mon blog, la narcisse ou l’insecure en moi, au choix, est toute émotionnée par le commentaire d’un grand monsieur qui me fait me dire que finalement ce que j’écris en vaut peut-être la peine.
Les voilà finalement avec dix minutes de retard mais il y a trois enfants pour deux rendez-vous…trois certificats bien-sûr…Je recadre mais je n’ai pas la force de caractère de demander à la maman que je connais bien de choisir parmi ses enfants.
La consultation pour les certificats de sport est un moment très agréable, on parle de la vie, de l’école, on fait de la prévention: vaccins, vitamine D,vision, alimentation… Ce serait même presque les plus agréables … si ce n’était pas concentré dans la même période et si ce n’était pas à la chaîne toute la journée. Trois enfants de la même famille, cela veut dire, faire exactement la même chose trois fois de suite: peser, mesurer, écouter le coeur, les poumons, prendre la tension, regarder les oreilles, évaluer la vision, regarder le dos, ne pas faire faire de flexion, s’en sentir délivré et ne pas culpabiliser, s’occuper d’un problème surajouté, écrire tout l’examen dans le carnet de santé,écrire tout l’examen dans le dossier informatique, repeser, remesurer car on a oublié les chiffres qu’on n’a pas noté tout de suite, faire les courbes de poids, de taille et d’indice de masse corporelle, entamer une longue discussion si il y a un problème de poids comme ce fut le cas pour 5 enfants aujourd’hui, faire façe souvent à des motifs de consultation surajoutés, vérifier les vaccins, prescrire des vaccins, de la vitamine D, des traitements le cas échéant, imprimer les certificats, en plusieurs exemplaires, en changeant le nom du sport, faire passer la carte vitale,poser l’opération 6.90+6.90+7.80, attendre le règlement, faire une consultation à l’arrachée pour les parents qui puisqu’ils sont là ont besoin de quelque chose et tout ça en essayant de ne pas confondre les enfants, les prénoms et avec une certaine animation dans le cabinet. Donc non ce n’est pas « juste un tampon » et ça y’est j’ai 25 minutes de retard.
Deuxième consultation, une femme enceinte de 7 mois, qui revient de vacances, a une sinusite, une diarhhée depuis 15 jours, et des champignons sous les seins. Rien de particulier sauf que maintenant même à 7 mois je n’ose plus dire « vous êtes enceinte? » avant de vérifier dans le dossier depuis quelques gaffes malvenues de ma part.
Pendant la consultation, D. frappe à la porte, me demande de mettre le répondeur, car elle ne se sent pas bien, et ne peut pas répondre au téléphone. Courageuse mais pas téméraire, je mets le répondeur car le téléphone n’arrête pas de sonner et que je ne peux pas avancer dans la consult.
Je vais vite la voir après ma consult mais le grand médecin que je suis n’est pas capable de grand chose à part de prendre une tension, de la faire allonger et d’appeler le SAMU. Je n’en dirai pas plus pour le secret médical mais si elle lit ceci je lui réitère mon affection et mon plaisir à travailler avec elle (enfin d’habitude …).Elle va bien cela dit .
Je suis obligée de transférer la ligne au secrétariat à distance qui fonctionnera encore tellement mal que je subirai aujourd’hui un afflux de personnes venant directement prendre RDV au cabinet, dans le meilleur des cas ou insistant pour être pris tout de suite. Le certificat pour le sport ressemble un peu au subutex aujourd’hui, il le faut aujourd’hui, c’est le dernier jour des inscriptions, ils ont fait le tour de tous les médecins, les plages disponibles que je peux leur donner le lendemain sont pendant l’école, un vrai casse-tête. Je suis obligée de refuser cruellement , de refuser la cystite, l’éruption qui commence à se déshabiller dans la salle d’attente, j ‘accepte le certificat de vaccination qui bien-sûr prend plus de temps que prévu et gratuitement en plus.
Je déteste refuser, je le fais rarement, mais là avec le SAMU qui est dans le bureau d’à côté et mon heure de retard, je n’ai pas le choix. Heureusement Mme W. arrive un peu plus tard et je ne fais pas l’erreur de refuser cette patiente, qui fait partie des gens du voyage qui sont généralement je trouve des gens adorables, venue en bus de deux villes plus loin, ayant monté les 6 étages à pied pour cause de claustrophobie, attendant patiemment dans la salle d’attente avec une infection pulmonaire et une vraie symphonie dans les poumons. Quand je pense que j’aurai pu refuser de la voir.
Ensuite Mme S. qui vient me montrer un résultat de prise de sang et que je trouve dans un fauteuil roulant me raconte, c’est normal, les 2 mois de péripéties médicales suite à une fracture de la jambe .
Une grand-mère amène sa petite fille, avec un mot très gentil de la maman disant que sa fille a besoin d’un certificat pour le poney et qu’elle a des vaccins en retard ( si peu : 6 ans pour le ROR, 2 ans pour le revaxis), si c’était éventuellement possible de lui prescrire,sinon c’est pas grave elle reviendra. Allez soyons fous, je vais lui prescrire aujourd’hui, ce sera fait! Je me retiens d’écrire apte à la pratique du poney, au pas, au trot et au galop.. Encore une fois aujourd’hui, malgré tous les certificats pour la danse, je me dégonfle à suivre les pas de mon confrère blogueur aux joyeux certificats.
Une consultation sympathique pour un lumbago, c’est bien les lumbagos, enfin pour moi, pas pour les gens , mais c’est facile, reposant, j’ai même des ordonnances et un discours tous faits. (les lumbagos c’est facile, pas les lombalgies, nuances).
Une patiente vient pour un renouvellement d’ordonnance. Une patiente avec un diabète déséquilibré mais qui n’a pas fait sa prise de sang, du coup on ne peut pas changer ou adapter le traitement, bref consultation qui ne sert à rien en dehors du fait qu’elle a fait ses courses, une feuille blanche devant elle avec produit vaisselle, papier toilette, ah non c’est de l’autre côté: gaviscon , doliprane, quelque chose pour les moustiques, ordonnance de kiné , vaccin pour sa fille ( explications sur la nécessité de faire un tubertest avant le BCG qui prend cinq bonnes minutes ) bas de contention , ordonnance podologue etc …et sinon pourquoi je suis fatiguée me demande -t-elle …
RDV pour deux: ils sont trois, une petite peur mais non en fait c’est pour deux dont une consultation qui n’en est pas une mais qui a eu la courtoisie juste pour une prescription de lotion pour du psoriasis du cuir chevelu de prendre RDV. Et je ne fais pas de zèle, je lui prescris la lotion et c’est tout ( je sais que c’est pas bien mais c’est comme ça: gratuitement quand -même)
Une consultation longue et compliquée mais qui justifiera à elle seule le fait de m’être levée ce matin:
Mr D. à 50 ans, il est yougoslave, lui et sa femme (ils ne sont pas mariés d’ailleurs ce qui fait que lui n’a pas de papiers) sont des gens d’une gentillesse et d’une correction sans faille. Malheureusement pour eux, ils ont le handicap d’avoir un nom finissant par ic , ce qui entraîne des préjugés fréquents. Il a vécu en France pendant de nombreuses années, bénéficiait de l’aide médicale d’état (AME) ou même de la CMU peut-être car je crois qu’il avait des papiers en règles, il était soigné pour de lourds problèmes cardiaques et bénéficiait d’une machine pour respirer la nuit pour un syndrôme d’apnées du sommeil.
Suite à des problèmes que je n’ai pas bien saisi de conflit à propos d’une maison, ils sont repartis vivre quelques temps en Yougoslavie. Il est revenu il y a 8 mois. Je l’ai vu il y a 5 ou 6 mois lors d’un remplacement. Devant l’ampleur de la prise en charge médicale à effectuer, j’ai mis en route le minimum et ai tempéré le temps qu’il ait récupéré l’AME ) .
J’ai vu sa femme il y a un mois. Elle m’a raconté que leurs ennuis ont repris ( tout n’est pas clair dans cette histoire je le répète) , ils se sont fait attaquer dans leur maison en présence de leurs enfants. Ils ont appelé 7 fois la police qui n’est pas venue, ont appelé le commissariat de la ville d’à côté qui a envoyé quelqu’un mais trop tard. Mme J., pour se défendre, a pris le fusil de chasse familial et a tiré en l’air. Elle a passé trois jours en garde à vue et elle est venue me voir pour avoir un certificat expliquant que son mari avait un problème de santé et devait prendre un traitement. Encore une fois, je ne cautionne pas leur acte, je ne connais pas les circonstances mais ce que je sais, c’est que ce sont des gens gentils et attachants, qu’ils n’ont pas voulu arriver à cette extrémité et qu’ils ne méritaient peut-être pas le traitement qui semble leur avoir été infligé en garde à vue. Bref, je les aime bien et j’ai été heureuse de savoir que grâce à mon certificat, une heure plus tard, Mr D. était sorti de garde à vue. Pour une fois qu’un de mes certificats est utile!
Aujourd’hui, Mr D. vient pour son renouvellement, après 6 mois, il n’ a toujours pas l’AME, il dit qu’il a rempli le dossier 3 fois, ce qui m’étonne mais me semble vrai. Il paye ses médicaments, les prises de sang, le cardiologue. N’a toujours pas son appareil pour dormir et de nombreuses choses n’ont toujours pas été faites.Il a été deux fois aux urgences pour les douleurs à la poitrine qu’il a très fréquemment . Ils lui auraient dit qu’il faudrait l’hospitaliser mais qu’il n’avait pas de sécu …Il a reçu une facture de plusieurs centaines d’euros. Et cette situation ne choque que moi! Que ce soit une erreur de la sécu, ou une difficulté des patients à faire les démarches, cette situation perdure…
Alors, je mets en oeuvre trois idées en parallèle en me disant que trois précautions valent mieux qu’une:
– Une lettre pour demander à la mairie de donner rapidement un rendez-vous avec une assistante sociale, une lettre pour la dite assistante sociale et une attestation de suivi dans le cabinet servant de preuve à sa présence en France depuis plus de trois mois.
-Les coordonnées, une lettre et une photocopie des éléments médicaux pour le COMEDE: comité médical pour les exilés, au Kremlin-Bicêtre, qui prend en charge administrativement et médicalement les personnes sans couvertures sociale, et qui fait un travail incroyable. J’ai une amie, ancienne co-interne qui y travaille.
– Un coup de téléphone à une personne magique qui est devenue depuis peu la personne indispensable de mon carnet d’adresse. Elle fait partie d’une association que je détaillerai plus tard si elle m’en donne l’autorisation tant elle mérite à elle toute seule un post spécial. Cette troisième idée était la bonne , elle m’a rappelé quelques minutes plus tard. Elle se rendra chez eux, s’occupera de l’aide médicale, des factures de l’hôpital, éventuellement d’une aide juridique et de tout autre problème le cas échéant. C’est une fée , et moi son intermédiaire …
Je suis très en retard, je n’ai pas fait payer la consultation , mais au moins je me suis sentie utile …
La dernière patiente, une enfant que l’on avait rajouté en plus n’est pas venue, ouf !Je les connais,ça ne m’étonne pas .Heureusement que j’ai eu deux lapins dans la matinée.
Je suis épuisée, pourtant si on compte, je n’ai pas vu tant de monde que ça.
C’était juste une matinée en médecine générale.