Je lui dirais

J’ai tourné sept fois ma langue dans ma bouche et mes doigts sur le clavier par crainte de dire des bêtises dans le contexte d’actualité assez complexe au niveau médical. Beaucoup de choses me rendent perplexes.Je ne suis pas forcément d’accord avec certaines personnes ou certains groupes de médecins.Je ne me sens pas à la hauteur pour donner mon avis. J’ai des idées trop utopistes. Comme Farfadoc , j’ai la capacité d’analyse d’un enfant de 4 ans. Je suis naive et en même temps résignée (voir ici).

D’un côté, j’ai mes idées sur ce qu’il faudrait changer dans le système de santé actuel (pas que dans le système de santé d’ailleurs), je suis pour l’accès aux soins gratuits pour tous, contre les dépassements d’honoraires et une médecine à deux vitesses, pour un changement du déroulement des études et d’autres encore.

De l’autre côté, je sais que rien ne changera, en tout cas, pas dans le bon sens.J’ai conscience que c’est plus complexe que dans ma ptite tête. Dans le système actuel, je conçois que certains comme les chirurgiens soient amenés à faire des dépassements d’honoraires en l’absence de revalorisation tarifaire. Le monde ne sera jamais comme je voudrais qu’il soit et j’ai peu de foi en des changements d’envergure. J’attends seulement du gouvernement en place un moindre mal.

Il est bien plus facile de raconter des histoires sur ma petite vie, mais je me dis que dès fois, il faut quand-même dire des choses sérieuses.

Par exemple, si je me retrouvais en face du ministre de la santé:qu’est-ce-que je lui dirais?

Bien sûr, je n’aurais aucune légitimité à une telle rencontre. Je ne suis pas du tout qualifiée en économie de la santé, je n’ai pas fait de politique, ni de syndicalisme, je n’ai aucune idée de la réalité des choses.

Que pourrais-je lui dire qu’elle ne sait déjà? En tant que qui?

Peut-être parce que je suis authentique, une médecin de terrain, de la réalité, pas forcément représentative de la majorité des médecins, certes non, mais peut-être représentative d’une nouvelle génération de jeunes médecins, qui aiment la médecine générale mais ne veulent plus l’exercer comme leurs ainés.

Peut-être que justement, j’aurais un autre regard sur les choses, un témoignage différent des interlocuteurs avec lesquels elle a l’habitude de discuter. Peut-être qu’en tant que jeune médecin au profil « rare et recherché », c’est à dire qui veut s’installer en tant que médecin généraliste libéral dans une zone certes urbaine mais qui est considéré tout de même comme un désert médical, je pourrais avoir des choses à lui dire.

Rien de transcendant, ce que je dirais n’aurait rien de nouveau et ne semblerait n’être que des évidences.

Et pourtant, les lois et mesures prises depuis des années vont parfois à l’encontre de tout entendement. Quand on voit que pendant des années, les gouvernements ont mis en place un numerus clausus en partant du principe que moins il y aurait de médecins, moins il y aurait de dépenses de santé, on se dit que parfois l’absurdité n’a pas de limites.

Donc mes idées à moi, sur ce qu’il faudrait faire pour qu’il y ait plus de médecins qui s’installent semblent peut-être évidentes mais peut-être ne le sont-elles pas.

Quand j’étais petite, j’avais écrit ça sur ce qu’il faudrait faire pour qu’il y ait plus de médecins qui s’installent en Seine-Saint-Denis.

Je suis pas beaucoup plus grande, mais j’ai participé aux propositions des 24 blogueurs sur les déserts médicaux.

Alors, je ne me sentirais pas une totale légitimité, j’aurais peur de dire des bêtises ou des évidences mais voici ce que je dirais si d’aventure la ministre de la santé me demandait mon avis .

Je lui dirais que j’aime mon métier et que je me considère chanceuse de l’exercer. Je ne suis pas la seule, je connais, je côtoie des médecins généralistes qui aiment profondément leur travail. Beaucoup sont heureux, plus qu’on ne le pense, car ils ne se font pas entendre, et comme m’a dit une journaliste hier « on ne va pas faire un reportage sur quelqu’un qui dit que tout va bien »…Beaucoup par contre, sont à juste titre découragés et épuisés moralement et physiquement par les nombreuses difficultés auxquelles ils doivent faire face. Cette image, bien que réelle, participe à décourager les jeunes médecins qui ont me semble-t-il une vision partielle.

Je pense que plutôt que de prendre des mesures ponctuelles, des ptits trucs par ci, des ptits trucs par là, il faut d’abord prendre le problème à la source: faire en sorte que les médecins qui sont heureux, comme moi pour l’instant le restent et ne se découragent pas, que ceux qui sont dans la difficulté soient aidés, et encourager les jeunes médecins.

Les jeunes médecins ne s’installent plus. Pourquoi le feraient-ils?

Peut-être que premièrement s’ils connaissaient une autre vision de la médecine générale, ils seraient plus motivés et deuxièmement si les conditions d’exercice étaient moins difficiles, ils seraient peut-être même nombreux à faire la queue.

Il faudrait d’abord changer le déroulement des études de médecine.

Il faudrait changer le mode de sélection de la première année qui se fait d’après moi sur des critères absurdes et pas du tout sur des qualités qui pourraient participées à faire un bon médecin.

Le déroulement des études est ensuite totalement hospitalo-centré avec une méconnaissance totale que ce soit dans les cours théoriques ou dans les stages pratiques de la médecine générale,avec une dévalorisation de la médecine générale, qui est encore aujourd’hui souvent associée à la voie de l’échec. Quel jeune médecin généraliste n’a pas entendu au moins une fois « Mais pourquoi tu ne fais pas une spécialité? ».

Ce point là est très important, il mérite d’être approfondi mais je ne veux pas alourdir cet article fleuve: j’en ai parlé de manière détaillée ici.

Il faut donc modifier le cursus d’une part en deuxième cycle, avant le choix de la spécialité et d’autre part en troisième cycle, une fois le choix de la médecine générale effectué pour que les jeunes médecins ne s’orientent pas vers un autre type de médecine générale, vers la médecine d’urgence ou autre activité pouvant être pratiquée avec le DES de médecine générale.

Parce que les jeunes médecins à la fin de leur internat ont peu connus la médecine libérale, elle leur fait peur. Ils ont travaillé en équipe toutes leurs études, être seuls les effraie.On ne leur a pas appris à gérer une entreprise libérale.

En développant les stages en médecine libérale, en sortant les études de médecine du CHU, en faisant en sorte que l’enseignement mette en valeur la médecine générale, en promouvant son exercice, en donnant les moyens à la filière universitaire de médecine générale de se développer, une grande partie du chemin serait déjà faite .

Les départements de médecine générale, le CNGE sont très dynamiques et plein d’idées. Il faut juste leur donner les moyens de se développer, permettre la création de postes de chefs de cliniques, de professeurs de médecine générale, favoriser la recherche en médecine générale, au même titre que les autres spécialités. C’est une question de moyens financiers certes mais aussi de manque de considération de cette spécialité et de mentalités qui ont du mal à évoluer. Que l’on ne vienne pas se plaindre de manquer de généralistes si on ne se donne pas les moyens pour leur formation.

Et c’est là qu’arrivent les MUST (maisons universitaires de santé) qui seraient l’équivalent d’un CHU en ville, un lieu d’apprentissage de la médecine générale, avec des externes, des internes, des chefs de clinique et des médecins séniors. Je ne vais pas redétailler ici tout ce qui est clairement expliqué dans le lien.

Faire connaitre et promouvoir la médecine générale dans les études est la première chose. Améliorer les conditions d’exercice est la deuxième.

Oui, c’est un beau métier, non ce n’est pas un métier facile et non les jeunes médecins, ces égoistes ne veulent plus faire de leur métier un sacerdoce au détriment de leur vie de famille.

N’en déplaise à certains, à beaucoup même, régler le problème du manque de médecin passe d’abord par comprendre ça.

Non, les jeunes médecins ne sont pas des nantis, non ils n’ont pas eu des études gratuites et faciles, non ils ne sont pas des fainéants, bien au contraire, mais non ils ne veulent plus exercer la médecine générale comme leurs ainés: seuls, travaillant du matin au soir, 80 heures par semaine, les nuits et le week-ends, disponibles en permanence pour leurs patients, sacrifiant leur santé, leur famille.

Et personnellement, je trouve que c’est une bonne chose, que cela s’appelle le progrès, qu’un médecin heureux qui organise sa pratique comme il le souhaite est plus utile à ses patients qu’un médecin épuisé, qui n’en peut plus, qui y laisse sa santé et son amour du métier au passage.

A titre personnel, je travaille environ 30 heures par semaine, j’organise mon temps de travail comme je le veux, je gagne correctement ma vie, je suis heureuse.

Ces propos choquent!

Pourquoi?

Parce que cela sort du caractère sacerdotal qu’on se fait de la médecine, parce que les autres avant ont fait différemment, parce que l’on « doit » quelque chose à la société.

Je ne suis pas d’accord. J’ai cette possibilité, je la prends.Je profite de mes enfants en bas âge, de la vie. Plus tard, si j’en ai envie, je travaillerai davantage.

Bien sûr, il faut organiser les choses en pratique pour que les patients n’en pâtissent pas, ce ne sera pas toujours facile, ni même possible dans certains endroits, il faut réorganiser la permanence de soins, changer les modes d’exercice, et là j’en reviens à nouveau aux MUST, tout cela est primordial mais tant que l’on aura pas admis cette évolution et surtout que l’on verra ça comme un problème, on n’avancera pas.

C’est l’image du médecin qui doit être changée, quand j’entends les propos, quand je lis les commentaires, il y a de quoi être totalement découragé mais je tiens bon. La première des barrières est celle que l’on se met à nous-même.

Il faut organiser les choses différemment, il faut écouter les plaintes des médecins et faire en sorte que les difficultés soient moindres, de supprimer certaines absurdités comme les décrit genou des alpages. Cela est possible avec un peu de volonté et de logique et en partant du terrain.

Mais je ne crois pas que les jeunes médecins ne veulent pas s’installer en libéral, ils ne veulent pas s’installer en libéral dans l’état actuel des choses. Moi, j’aime le libéral, j’aime la liberté, le choix des horaires et les possibilités multiples.

Si on leur promettait des horaires moindres, si on les accompagnait pour les difficultés administratives, la découverte des méandre de l’entreprise libérale, si on les formait à ça (dans une MUST par exemple) et si on leur montrait la richesse et le plaisir de ce métier, je crois que je ne serais pas la seule à vouloir m’installer.

Des horaires moindres, allez-vous me dire, comment est-ce possible alors que l’on manque de médecins? Et bien, cela me parait logique: trois, deux ou même un médecin à mi-temps ( entendons sur mi-temps: un mi-temps de 70 heures, c’est en fait un 35 heures), cela fait tout de même plus que zéro médecin à plein-temps.

Et puisqu’il faut parler argent, bien-sûr, il faut revaloriser les actes, bien sûr il faut réflechir à d’autres modes de rémunération, bien-sûr les médecins ne travaillent pas pour la gloire et bien sûr il y a des réfléxions à mener sur ce sujet mais je pense profondément que l’argent n’est pas la motivation première et que l’on ne choisit pas ce métier pour l’argent.

Une fois que tout cela sera fait, et que l’on aura de nombreux médecins désirant s’installer, restera encore le problème des déserts médicaux. Et là, je ne prétend pas avoir de solutions miracles. Le problème de désertifications des campagnes va bien au delà des médecins:comment peut-on demander à un jeune médecin de s’installer quand il n’y a pas de commerces de proximité, pas d’emploi pour son conjoint, pas de crèches pour ses enfants? Y’a-t-il des solutions à cela?

Je l’ignore.

Ce que je sais, c’est que les mesures coercitives sont absurdes. Peut-on demander à un jeune étudiant de s’engager au début de ces études à exercer à un endroit donné quand il ne sait pas ce que sera sa vie dix ans plus tard. Peut-on demander à un médecin qui finit ses (difficiles et éprouvantes) études, qui a la trentaine, souvent un ou une conjointe et possiblement des enfants, de laisser sa vie pour partir là où personne ne veut aller. Il n’ira pas. Je me suis installée où personne ne veut aller parce que j’en avais envie, je n’aurais pas été ailleurs si on m’avait dit d’y aller. Ma vie privée ne me l’aurait pas permis. J’aurais fait autre chose! Je ne comprends pas ceux qui ne comprennent pas ça.

En tout cas, la coercition est absurde et je vois avec plaisir que la ministre ne va pas dans ce sens.

Quelles solutions? Vous ai-je déjà parler des MUSTs?

Je connais des jeunes médecins qui aiment ou aimeraient travailler dans les campagnes. Oui, il y en a. C’est un exercice avec de nombreux attraits. Je suis sûre que certains s’installeraient si les conditions étaient différentes et s’ils avaient connus cet exercice pendant leurs études. Il faut imaginer de nouvelles solutions, comme par exemple celles que nous proposons avec des salaires aux enchères.

Encore une fois, je n’ai pas de solution miracle. Faire connaitre, promouvoir, rendre attractif. Changer l’image. Et changer la pratique.

Cela peut sembler naif ou peu concret. Les propositions concrètes sont dans les deux documents ci dessus. Le reste ce ne sont que des évidences.

Donc, voilà ce que je lui dirais si la ministre de la santé me demandait mon avis.

Je lui dirais que je ne suis pas économiste de la santé, que je n’ai pas de connaissances politiques mais je lui dirais de commencer par là…

Et de trouver des solutions qui pour une fois iraient dans le bon sens, ne seraient pas absurdes et faire des changements d’envergure, pas des ptits trucs par ci et d’autres par là.

Je lui dirais que je préfère être à ma place qu’à la sienne parce que cela n’est pas simple.

J’essaie quant à moi, à mon petit niveau, local ou sur ce blog, en tant que maître de stage, de faire connaitre la médecine générale, de faire connaitre mon département.C’est tout ce que je peux faire. Et peut-être influencer une ou deux personnes…

Je pense que dans le système actuel, de grands changements ne se feront pas, qu’on dira qu’il n’y a pas les moyens.

Je ne fais pas de politique mais je pense que de l’argent il y en a et qu’il faut le prendre ailleurs que chez les patients et ailleurs que chez les médecins (je laisserai gentilmari l’expliquer un jour).

Je pense surtout qu’il faut décider des moyens que l’on veut se donner. Veut-on-des médecins oui ou non?

Voilà, je n’aurais aucune légitimité mais voilà ce que je dirais si on me le demandait.

Vous allez me dire, heureusement que ça n’arrivera pas …quoi que …

 

 

 

 

 

 

Médecine Générale 2.0

Médecine générale 2.0

Les propositions des médecins généralistes blogueurs
pour faire renaître la médecine générale.

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur le territoire  ? Chacun semble avoir un avis sur ce sujet, d’autant plus tranché qu’il est éloigné des réalités du terrain.

Nous, médecins généralistes blogueurs, acteurs d’un « monde de la santé 2.0 », nous nous reconnaissons mal dans les positions émanant des diverses structures officielles qui, bien souvent, se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis.

À l’heure où les discussions concernant l’avenir de la médecine générale font la une des médias, nous avons souhaité prendre position et constituer une force de proposition.

Conscients des enjeux et des impératifs qui sont devant nous, héritages d’erreurs passées, nous ne souhaitons pas nous dérober à nos responsabilités. Pas plus que nous ne souhaitons laisser le monopole de la parole à d’autres.

Notre ambition est de délivrer à nos patients des soins primaires de qualité, dans le respect de l’éthique qui doit guider notre exercice, et au meilleur coût pour les budgets sociaux. Nous souhaitons faire du bon travail, continuer à aimer notre métier, et surtout le faire aimer aux générations futures de médecins pour lui permettre de perdurer.

Nous pensons que c’est possible.

Voici la liste des blogueurs participants, sachant que certains confrères qui ont participé au débat ne figurent pas dans cette liste. AliceRedSparrowBoréeBruit des sabotsChristian LehmannDoc MamanDoc SouristineDoc BulleDocteur MilieDocteur VDominique DupagneDr CouineDr FoulardDr Sachs JrDr StéphaneDzb17EuphraiseFarfadocFluoretteGéluleGenou des AlpagesGranadilleJaddoMatthieu CalafioreYem

Voici le lien du document dont le contenu est détaillé ci-après (la lecture y sera plus agréable): Médecine générale 2_0

Ce document est né de la révolte de jeunes médecins généralistes face à la proposition par l’Ordre des médecins de mesures coercitives pour lutter contre les déserts médicaux. Une communauté informelle d’une vingtaine de médecins blogueurs s’est constituée autour de cette révolte pour élaborer des propositions concrètes et constructives. Il ne s’agit pas de supplanter les syndicats ou les autres représentations professionnelles. Ils s’agit simplement d’utiliser nos sites pour communiquer sur notre métier et nos attentes, pour aider à reconstruire une profession aussi indispensable que malmenée depuis plus de 50 ans.

D’autres médecins blogueurs dont vous pouvez visiter les sites grâce aux liens ci dessus ont présenté ce projet de manière plus personnalisée. Je ne trouve quant à moi rien à rajouter de pertinent.

C’est un projet ambitieux auquel je suis fière de participer. Nous avons conscience qu’un long chemin est à parcourir mais je suis persuadée et heureuse que grâce à ce projet groupé, nos idées seront entendues.

Si vous souhaitez soutenir ces propositions ou participer au débat: vous pouvez le faire ici sur le site atoute.

MEDECINE GENERALE 2.0

Sortir du modèle centré sur l’hôpital

La réforme de 1958 a lancé l’hôpital universitaire moderne. C’était une bonne chose qui a permis à la médecine française d’atteindre l’excellence, reconnue internationalement.

Pour autant, l’exercice libéral s’est trouvé marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. En 50 ans, l’idée que l’hôpital doit être le lieu quasi unique de l’enseignement médical s’est ancrée dans les esprits. Les universitaires en poste actuellement n’ont pas connu d’autre environnement.

L’exercice hospitalier et salarié est ainsi devenu une norme, un modèle unique pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice libéral qu’ils n’ont jamais rencontré pendant leurs études.

C’est une profonde anomalie qui explique en grande partie nos difficultés actuelles.

Cet hospitalo-centrisme a eu d’autres conséquences dramatiques :
- Les médecins généralistes (MG) n’étant pas présents à l’hôpital n’ont eu accès que tout récemment et très partiellement à la formation des étudiants destinés à leur succéder.
- Les budgets universitaires dédiés à la MG sont ridicules en regard des effectifs à former.
- Lors des négociations conventionnelles successives depuis 198a9, les spécialistes formés à l’hôpital ont obtenu l’accès exclusif aux dépassements d’honoraires créés en 1980, au détriment des généralistes contraints de se contenter d’honoraires conventionnels bloqués.

Pour casser cette dynamique mortifère pour la médecine générale, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :
- Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice.
- Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire. Nous faisons l’analyse que toute mesure visant à obliger les jeunes MG à s’installer en zone déficitaire aurait un effet majeur de repoussoir. Elle ne ferait qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

C’est au contraire une véritable réflexion sur l’avenir de notre système de santé solidaire que nous souhaitons mener. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’erreurs considérables commises avec la complicité passive de confrères plus âgés, dont certains voudraient désormais en faire payer le prix aux jeunes générations.

Idées-forces

Les idées qui sous-tendent notre proposition sont résumées ci-dessous, elles seront détaillées ensuite.

Elles sont applicables rapidement.

1) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.

2) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital : les MSP se voient attribuer un statut universitaire et hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique. Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

3) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner : statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

4) Création d’un nouveau métier de la santé : « Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt » (AGI). Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt.

1) 1000 Maisons Universitaires de Santé

Le chiffre paraît énorme, et pourtant… Dans le cadre d’un appel d’offres national, le coût unitaire d’une MUSt ne dépassera pas le million d’euros (1000 m2. Coût 900 €/m2).

Le foncier sera fourni gratuitement par les communes ou les intercommunalités mises en compétition pour recevoir la MUSt. Il leur sera d’ailleurs demandé en sus de fournir des logements à prix très réduit pour les étudiants en stage dans la MUSt. Certains centres de santé municipaux déficitaires pourront être convertis en MUSt.

Au final, la construction de ces 1000 MUSt ne devrait pas coûter plus cher que la vaccination antigrippale de 2009 ou 5 ans de prescriptions de médicaments (inutiles) contre la maladie d’Alzheimer. C’est donc possible, pour ne pas dire facile.

Une MUSt est appelée à recevoir des médecins généralistes et des paramédicaux. La surface non utilisée par l’activité de soin universitaire peut être louée à d’autres professions de santé qui ne font pas partie administrativement de la MUSt (autres médecins spécialistes, dentiste, laboratoire d’analyse, cabinet de radiologie…). Ces MUSt deviennent de véritables pôles de santé urbains et ruraux.

Le concept de MUSt fait déjà l’objet d’expérimentations, dans le 94 notamment, il n’a donc rien d’utopique.

2) L’université dans la ville

Le personnel médical qui fera fonctionner ces MUSt sera constitué en grande partie d’internes et de médecins en post-internat :

- Des internes en médecine générale pour deux de leurs semestres qu’ils passaient jusqu’ici à l’hôpital. Leur cursus comportera donc en tout 2 semestres en MUSt, 1 semestre chez le praticien et 3 semestres hospitaliers. Ils seront rémunérés par l’ARS, subrogée dans le paiement des honoraires facturés aux patients qui permettront de couvrir une partie de leur rémunération. Le coût global de ces internes pour les ARS sera donc très inférieur à leur coût hospitalier du fait des honoraires perçus.

- De chefs de clinique universitaire de médecine générale (CCUMG), postes à créer en nombre pour rattraper le retard pris sur les autres spécialités. Le plus simple est d’attribuer proportionnellement à la médecine générale autant de postes de CCU ou assimilés qu’aux autres spécialités (un poste pour deux internes), soit un minimum de 3000 postes (1500 postes renouvelés chaque année). La durée de ce clinicat est de deux ans, ce qui garantira la présence d’au moins deux CCUMG par MUSt. Comme les autres chefs de clinique, ces CCUMG sont rémunérés à la fois par l’éducation nationale (part enseignante) et par l’ARS, qui reçoit en retour les honoraires liés aux soins délivrés. Ils bénéficient des mêmes rémunérations moyennes, prérogatives et avantages que les CCU hospitaliers.

Il pourrait être souhaitable que leur revenu comprenne une base salariée majoritaire, mais aussi une part variable dépendant de l’activité (par exemple, 20 % du montant des actes pratiqués) comme cela se pratique dans de nombreux dispensaires avec un impact significatif sur la productivité des consultants.

- Des externes pour leur premier stage de DCEM3, tel que prévu par les textes et non appliqué faute de structure d’accueil. Leur modeste rémunération sera versée par l’ARS. Ils ne peuvent pas facturer d’actes, mais participent à l’activité et à la productivité des internes et des CCUMG.

- Des médecins seniors au statut mixte : les MG libéro-universitaires. Ils ont le choix d’être rémunérés par l’ARS, subrogée dans la perception de leurs honoraires (avec une part variable liée à l’activité) ou de fonctionner comme des libéraux exclusifs pour leur activité de soin. Une deuxième rémunération universitaire s’ajoute à la précédente, liée à leur fonction d’encadrement et d’enseignement. Du fait de l’importance de la présence de ces CCUMG pour lutter contre les déserts médicaux, leur rémunération universitaire pourra être financée par des budgets extérieurs à l’éducation nationale ou par des compensations entre ministères.

Au-delà de la nouveauté que représentent les MUSt, il nous paraît nécessaire, sur le long terme, de repenser l’organisation du cursus des études médicales sur un plan géographique en favorisant au maximum la décentralisation hors CHU, aussi bien des stages que des enseignements.

En effet, comment ne pas comprendre qu’un jeune médecin qui a passé une dizaine d’années dans sa ville de faculté et y a construit une vie familiale et amicale ne souhaite pas bien souvent y rester  ?

Une telle organisation existe déjà, par exemple, pour les écoles infirmières, garantissant une couverture assez harmonieuse de tout le territoire par cette profession, et les nouvelles technologies permettent d’ores et déjà, de manière simple et peu onéreuse, cette décentralisation pour tous les enseignements théoriques.

3) Incitation plutôt que coercition : des salaires aux enchères

Le choix de la MUSt pour le bref stage de ville obligatoire des DCEM3 se fait par ordre alphabétique avec tirage au sort du premier à choisir, c’est la seule affectation qui présente une composante coercitive.

Le choix de la MUSt pour les chefs de clinique et les internes se pratique sur le principe de l’enchère : au salaire de base égal au SMIC est ajouté une prime annuelle qui sert de régulateur de choix : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.

En cas de candidats multiples pour une prime à zéro (et donc une rémunération de base au SMIC pour les MUSt les plus attractives) un tirage au sort départage les candidats.

Ce système un peu complexe présente l’énorme avantage de ne créer aucune frustration puisque chacun choisit son poste en mettant en balance la pénibilité et la rémunération. De plus, il permet d’avoir la garantie que tous les postes seront pourvus.

Ce n’est jamais que la reproduction du fonctionnement habituel du marché du travail : l’employeur augmente le salaire pour un poste donné jusqu’à trouver un candidat ayant le profil requis et acceptant la rémunération. La différence est qu’il s’agit là de fonctions temporaires (6 mois pour les internes, 2 ans pour les chefs de clinique) justifiant d’intégrer cette rémunération variable sous forme de prime.

Avec un tel dispositif, ce sont 6 000 médecins généralistes qui seront disponibles en permanence dans les zones sous-médicalisées : 3000 CCUMG et 3000 internes de médecine générale.

4) Un nouveau métier de la santé : AGI de MUSt

Les MUSt fonctionnent bien sûr avec une ou deux secrétaires médicales suivant leur effectif médical et paramédical.

Mais la nouveauté que nous proposons est la création d’un nouveau métier : Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt. Il s’agit d’un condensé des fonctions remplies à l’hôpital par les agents administratifs et les cadres de santé hospitaliers.

C’est une véritable fonction de cadre supérieur de santé qui comporte les missions suivantes au sein de la MUSt : — Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…). — Gestion des ressources humaines. — Interfaçage avec les tutelles universitaires — Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional — Gestion des locaux loués à d’autres professionnels.

Si cette nouvelle fonction se développe initialement au sein des MUSt, il sera possible ensuite de la généraliser aux cabinets de groupes ou maisons de santé non universitaires, et de proposer des solutions mutualisées pour tous les médecins qui le souhaiteront.

Cette délégation de tâches administratives est en effet indispensable afin de permettre aux MG de se concentrer sur leurs tâches réellement médicales : là où un généraliste anglais embauche en moyenne 2,5 équivalents temps plein, le généraliste français en est à une ½ secrétaire  ; et encore, ce gain qualitatif représente-t-il parfois un réel sacrifice financier.

Directement ou indirectement, il s’agit donc de nous donner les moyens de travailler correctement sans nous disperser dans des tâches administratives ou de secrétariat.

Une formule innovante : les « chèques-emploi médecin »

Une solution complémentaire à l’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses [1].

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien) employés par les cabinets de médecins libéraux, équivalent du chèque-emploi pour les familles.

Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Cette solution stimulerait l’emploi dans les déserts médicaux et pourrait donc bénéficier de subventions spécifiques. Le chèque-emploi servirait ainsi directement à une amélioration qualitative des soins et à dégager du temps médical pour mieux servir la population.

Il est beaucoup question de « délégation de tâche » actuellement. Or ce ne sont pas les soins aux patients que les médecins souhaitent déléguer pour améliorer leur disponibilité : ce sont les contraintes administratives  ! Former des agents administratifs est bien plus simple et rapide que de former des infirmières, professionnelles de santé qualifiées qui sont tout aussi nécessaires et débordées que les médecins dans les déserts médicaux.

Aspects financiers : un budget très raisonnable

Nous avons vu que la construction de 1000 MUSt coûtera moins cher que 5 ans de médicaments anti-Alzheimer ou qu’une vaccination antigrippale comme celle engagée contre la pandémie de 2009.

Les internes étaient rémunérés par l’hôpital, ils le seront par l’ARS. Les honoraires générés par leur activité de soin devraient compenser les frais que l’hôpital devra engager pour les remplacer par des FFI, permettant une opération neutre sur le plan financier, comme ce sera le cas pour les externes.

La rémunération des chefs de clinique constitue un coût supplémentaire, à la mesure de l’enjeu de cette réforme. Il s’agit d’un simple rattrapage du retard pris dans les nominations de CCUMG chez les MG par rapport aux autres spécialités. De plus, la production d’honoraires par les CCUMG compensera en partie leurs coûts salariaux. La dépense universitaire pour ces 3000 postes est de l’ordre de 100 millions d’euros par an, soit 0,06 % des dépenses de santé françaises. À titre de comparaison, le plan Alzheimer 2008-2012 a été doté d’un budget de 1,6 milliard d’euros. Il nous semble que le retour des médecins dans les campagnes est un objectif sanitaire, qui justifie lui aussi un « Plan » et non des mesures hâtives dépourvues de vison à long terme.

N’oublions pas non plus qu’une médecine de qualité dans un environnement universitaire est réputée moins coûteuse, notamment en prescriptions médicamenteuses. Or, un médecin « coûte » à l’assurance-maladie le double de ses honoraires en médicaments. Si ces CCUMG prescrivent ne serait-ce que 20 % moins que la moyenne des autres prescripteurs, c’est 40 % de leur salaire qui est économisé par l’assurance-maladie.

Les secrétaires médicales seront rémunérées en partie par la masse d’honoraires générée, y compris par les « libéro-universitaires », en partie par la commune ou l’intercommunalité candidate à l’implantation d’une MUSt.

Le reclassement des visiteurs médicaux

Le poste d’Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt constitue le seul budget significatif créé par cette réforme. Nous avons une proposition originale à ce sujet. Il existe actuellement en France plusieurs milliers de visiteurs médicaux assurant la promotion des médicaments auprès des prescripteurs. Nous savons que cette promotion est responsable de surcoûts importants pour l’assurance-maladie. Une solution originale consisterait à interdire cette activité promotionnelle et à utiliser ce vivier de ressources humaines libérées pour créer les AGI. En effet, le devenir de ces personnels constitue l’un des freins majeurs opposés à la suppression de la visite médicale. Objection recevable ne serait-ce que sur le plan humain. Ces personnels sont déjà répartis sur le territoire, connaissent bien l’exercice médical et les médecins. Une formation supplémentaire de un an leur permettrait d’exercer cette nouvelle fonction plus prestigieuse que leur ancienne activité commerciale. Dans la mesure où leurs salaires (industriels) étaient forcément inférieurs aux prescriptions induites par leurs passages répétés chez les médecins, il n’est pas absurde de penser que l’économie induite pour l’assurance-maladie et les mutuelles sera supérieure au coût global de ces nouveaux agents administratifs de ville. Il s’agirait donc d’une solution réaliste, humainement responsable et économiquement neutre pour l’assurance maladie.

Globalement, cette réforme est donc peu coûteuse. Nous pensons qu’elle pourrait même générer une économie globale, tout en apportant plusieurs milliers de soignants immédiatement opérationnels là où le besoin en est le plus criant.

De toute façon, les autres mesures envisagées sont soit plus coûteuses (fonctionnarisation des médecins libéraux) soit irréalisables (implanter durablement des jeunes médecins là où il n’y a plus d’école, de poste, ni de commerces). Ce n’est certainement pas en maltraitant davantage une profession déjà extraordinairement fragilisée qu’il sera possible d’inverser les tendances actuelles.

Calendrier

La réforme doit être mise en place avec « agilité ». Le principe sera testé dans des MUSt expérimentales et modifié en fonction des difficultés rencontrées. L’objectif est une généralisation en 3 ans. Ce délai permettra aux étudiants de savoir où ils s’engagent lors de leur choix de spécialité. Il permettra également de recruter et former les maîtres de stage libéro-universitaires  ; il permettra enfin aux ex-visiteurs médicaux de se former à leurs nouvelles fonctions.

Et quoi d’autre  ?

Dans ce document, déjà bien long, nous avons souhaité cibler des propositions simples et originales. Nous n’avons pas voulu l’alourdir en reprenant de nombreuses autres propositions déjà exprimées ailleurs ou qui nous paraissent dorénavant des évidences, par exemple :

- L’indépendance de notre formation initiale et continue vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique ou de tout autre intérêt particulier.
- La nécessité d’assurer une protection sociale satisfaisante des médecins (maternité, accidents du travail…).
- La nécessaire diversification des modes de rémunération. Si nous ne rejetons pas forcément le principe du paiement à l’acte – qui a ses propres avantages – il ne nous semble plus pouvoir constituer le seul socle de notre rémunération. Il s’agit donc de :
— Augmenter la part de revenus forfaitaires, actuellement marginale.
— Ouvrir la possibilité de systèmes de rémunération mixtes associant capitation et paiement à l’acte ou salariat et paiement à l’acte.
— Surtout, inventer un cadre flexible, car nous pensons qu’il devrait être possible d’exercer la « médecine de famille » ambulatoire en choisissant son mode de rémunération.
- La fin de la logique mortifère de la rémunération à la performance fondée sur d’hypothétiques critères « objectifs », constat déjà fait par d’autres pays qui ont tenté ces expériences. En revanche, il est possible d’inventer une évaluation qualitative intelligente à condition de faire preuve de courage et d’imagination.
- La nécessité de viser globalement une revalorisation des revenus des généralistes français qui sont aujourd’hui au bas de l’échelle des revenus parmi les médecins français, mais aussi en comparaison des autres médecins généralistes européens. D’autres pays l’ont compris : lorsque les généralistes sont mieux rémunérés et ont les moyens de travailler convenablement, les dépenses globales de santé baissent  !

Riche de notre diversité d’âges, d’origines géographiques ou de mode d’exercice, et partageant pourtant la même vision des fondamentaux de notre métier, notre communauté informelle est prête à prendre part aux débats à venir.

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