Jusqu’à maintenant, j’ai principalement écrit sur le présent, j’ai envie maintenant de raconter un peu des moments passés qui m’ont menés jusqu’ici.
J’ai conscience que cela risque d’être d’un intérêt minime et que je le fais plus pour moi, pour la postérité …
J’ai toujours été un peu l’opposé du carpe diem, j’ai toujours eu le besoin d’écrire, filmer, prendre des photos pour me souvenir, ne pas oublier.
Je me suis calmée avec le caméscope mais il y a quelques années mes films de vacances duraient des heures, aujourd’hui encore dès qu’il se passe quelque chose d’important, avant même de le vivre, je dégaine l’iPhone plus vite que mon ombre. Relire tout ce que j’ai pu écrire me permet de me souvenir de moments oubliés par ma mémoire défectueuse, capable de réciter mes poésies de primaire mais incapable de se rappeler de souvenirs pourtant récents…
Bref, avant de tout oublier complètement, j’ai décidé de raconter les moments clés de mes études de médecine en commençant par le début: mon premier jour à la fac!
Je me souviens m’être dit: « Aujourd’hui, je rentre à l’université ». Je trouvais cela solennel et c’est avec la sensation émue de vivre un grand moment que j’ai marché dans la rue de l’école de médecine.
J’avais 17 ans, j’étais la première de la famille à aller en fac de médecine, j’allais à Paris, ce n’était pas rien.
Je n’ai, je le répète j’ai une mémoire complètement défectueuse, aucun vrai souvenir de cette journée. Je me souviens juste de mon état d’esprit de cette semaine là.
Par chance, j’avais fait une pré-rentrée dans un cours privé. J’avais travaillé la moitié de l’été pour me payer des cours l’autre moitié et le reste de l’année. Ces cours privés sont scandaleux mais j’étais trop motivée pour faire ma rebelle contre ce système injuste et discriminant et ne pas m’inscrire. J’étais boursière et mes parents ne pouvaient pas me les payer mais j’avais travailler deux étés et surtout j’ai eu la chance que l’amie d’enfance de ma mère travaille dans un de ces cours privés (un tout petit pas connu qui n’a pas du regretter puisque j’ai fait grimper leurs stats de réussite) et m’a eu des réductions.
On comprend déjà que j’étais à ce stade hyper motivée et que j’avais décidé de tout faire pour réussir et surtout ne pas regretter de n’avoir pas fait le maximum. J’étais prête à rentrer sans réfléchir plus que ça dans le système absurde de la P1. Pas de rébellion contre l’injustice, la stupidité, l’absurdité. J’avais laissé mon cerveau et mon esprit critique déjà peu développé à l’entrée et j’étais prête à faire tout ce qu’on me demandait : apprendre par cœur, apprendre le botin s’il le fallait, arrêter de vivre, bosser 14 heures par jour, disséquer des grenouilles, aller à la bibliothèque le dimanche, ne pas lire de bouquins pendant un an, ne pas avoir de vie sociale, faire la vaisselle en regardant les acides-aminés collés sur le mur, ne même pas imaginer prendre le temps d’aller aux toilettes sans emmener quelque chose à apprendre.
Bref, ce premier jour, je ne savais pas à quoi m’attendre mais j’étais déjà formatée…
Grâce à cette pré-rentrée, je connaissais déjà des gens, heureusement!
Si je dois quelque chose à ce cours privé, c’est les personnes que j’y ai rencontrées. Parmi elles, il y a trois de mes amies les plus chères.
L’une d’elle, en dépit du fait qu’elle n’ait pas continué médecine est l’une des plus belles choses qui me soient arrivées grâce à mes études : témoin à mon mariage, marraine de ma fille, la P1 nous a liées pour la vie. Deux autres de mes amies ont réussi le concours un an après moi et depuis nous avons traversé plus ou moins côtes à côtes toutes les étapes de la vie: études, vacances, mariage, thèse, enfants. L’une d’elle vient d’ailleurs d’accoucher et je l’embrasse très fort.
Ce jour là, je ne me doutais pas encore de tout ça, nous étions un petit groupe d’ une dizaine, et c’était providentiel pour moi qui suis timide et pas très sociable quand je ne connais pas les gens. J’aurai pu passer des mois sans parler à personne dans cet amphi de 500 personnes ( pour preuve ma deuxième année où j’ai mis beaucoup de temps à m’intégrer). Heureusement, il y avait les Travaux Dirigés en petits groupes et j’avais donc ma copine de TD mais si ma P1 est un excellent souvenir, c’est grâce à l’ambiance créée dans ce petit groupe de mon cours privé.
J’ai toujours rêver d’un campus comme dans les feuilletons américains (et de leur remise de diplômes ): cette semaine là, je n’avais qu’une envie, qu’un réconfort: rentrer chez moi le soir, dans mon petit chez moi, voir ma maman, mon papa, mon chien. J’ai plaint mes copines qui avaient un appart à Paris ou étaient dans un foyer, j’étais tellement contente de prendre mon RER le soir et de retrouver ma vie.
J’avais peur, je me sentais petite, dépassée. Les doublants (espèce particulière qui, à l’opposé des petits primants innocents et stupides que nous étions, débutait sa deuxième première année, connaissait tout, prenait les meilleures places, avait la maîtrise de rites un peu tribaux genre sifflements et cris sauvages tels que « micros » ) me faisaient peur.
Dernière nous dans l’amphi Farabeuf: il y’ avait toujours la même fille exaspérante, une amie maintenant, qui avait mille longueurs d’avance sur nous et qui se plaignait sans cesse d’être en retard dans ses révisions. Pendant que nous étions en train d’essayer laborieusement de prendre des notes sur le chapitre 2, en ne comprenant qu’un mot sur quatre, après avoir passé des heures la veille à essayer de comprendre le chapitre 1, elle racontait d’un air désespéré qu’elle n’avait pas eu le temps de finir le chapitre 1278.
Ce jour là, je suis rentrée pleine de solennité et d’espoir à la faculté de médecine, j’en suis ressortie avec l’envie de me mettre au fond de mon lit et de ne plus en bouger.
Cette angoisse et cette peur n’ont pas duré. J’ai passé une année difficile mais qui reste un excellent souvenir: apprendre des choses, les heures à la bibli avec les copines, les pauses à la cafèt (courtes pauses bien sûr et planifiées à l’avance), ma salade tomate-fêta quotidienne de mon régime du mois de juin, les salades au poulet qui furent la seule nourriture de ma copine L. pendant deux ans, les cours privés le soir ou pendant les vacances. Je suis toujours restée un peu nostalgique finalement de cette émulation et de ce rythme de la P1, que je n’ai pas retrouvée par la suite parce que j’ai eu plutôt tendance à passer le reste de mes études à réviser dans mon lit.
Par contre, la certitude de très grande probabilité d’échec et de ne pas être à la hauteur ne pas quittée jusqu’à la découverte en janvier de mon classement intermédiaire qui, même s’il n’était pas classant, était meilleur que ce à quoi je m’attendais et m’a fait entrevoir pour la première fois la perspective de réussir la deuxième fois comme envisageable ….