Imagine

Je ne suis pas une rêveuse.

Bien au contraire. Cela m’afflige moi-même mais il n’y aurait que des gens comme moi, l’humanité n’aurait jamais avancé et je ne sais même pas si on aurait découvert le feu.

C’en est affligeant, je prends les choses, les gens, comme ils sont. J’aimerai que les choses soient différentes mais je n’ai pas la foi…alors je m’adapte.

Quand je vote pour un programme utopique, au fond de moi je n’y crois pas, quand je pense aux choses telles qu’elles devraient être, je pense que ça n’arrivera jamais, alors je me contente des choses telles qu’elles sont .

J’ai un mari révolutionnaire dont j’épouse les idées et je l’admire d’y croire et d’agir pour que les choses changent. J’admire son militantisme, j’admire son investissement dans le syndicalisme mais moi je suis du genre à donner de l’argent aux SDF mais à me décourager à l’avance à l’idée que les choses puissent changer. Lui, toutes mes petites participations humanitaires et associatives, il trouve que c’est « donner de l’aspirine à un cancéreux » et qu’il faut changer les choses.

Même s’il m’agace, j’admire sa faculté à s’énerver tout le temps, à garder cette capacité de révolte, à se mettre en colère contre le dixième chauffard de la journée! Moi, je ne comprends pas, j’ai accepté depuis tellement longtemps qu’il y ait des cons sur la route comme partout ailleurs et que cela ne sert à rien de s’énerver.

J’ai une capacité de résilience extrêmement développée mais du coup cela va de pair avec une acceptation un peu trop facile et un manque de courage et de révolte. J’ai toujours pris avec reconnaissance ce que la vie m’a donné sans me plaindre excessivement des mauvais côtés et je ne suis pas une rêveuse. Je n’ai jamais imaginé plus d’une minute ce que la vie aurait été si ma mère n’avait pas été malade, elle l’était c’est tout. En première année de médecine, je ne me suis jamais permis plus de quelques secondes d’envisager d’avoir mon concours. Bref, je suis un peu fade et très cartésienne comme fille et ce n’est pas avec moi que ma fille apprend à rêver et à développer son imaginaire (heureusement que son père est parfait pour ça).

Le soir, souvent comme berçeuse, nous lui chantons Imagine

Imagine no possessions,
I wonder if you can,
No need for greed or hunger,
A brotherhood of man,
Imagine all the people,
Sharing all the world…
.

Oui, je profite de ma fille de 4 ans pour apprendre à rêver un peu …

J’ai toujours eu des idées politiques et une foi en l’humanité qui me classe plutôt dans le camp des rêveurs mais bien que inscrite sur les listes électorales et syndiquée, je n’ai, à ma grande honte, jamais rien fait de concret.

En ce qui concerne la médecine générale, je n’ai jamais eu d’activité militante dans les représentations étudiantes ou les différents syndicats.

Mon militantisme à moi, c’est de témoigner au quotidien de mon amour pour mon travail, pour la médecine générale, pour mon département.

Je le fais un peu dans la vraie vie. J’ai choisi un sujet de thèse qui me tenait à coeur. Je témoigne régulièrement (que ce soit dans certains journaux, voire télé ou que ce soit chez mon coiffeur) de mon plaisir à exercer ce travail et à l’exercer ici. Je suis maître de stage.

Et puis, il y a ce blog. J’ai régulièrement des témoignages qui montrent que ce que j’écris peut toucher des gens. Des petites gouttes d’eau dans l’océan.

Et ces petites gouttes d’eau, il n’y a pas que moi qui en produit. J’ai l’immense fierté de faire partie de cette communauté de soignants: médecins, kiné, sage-femmes,infirmières, auxiliaires de vie et même patients qui témoignent de leur amour de leur métier.

Moi qui suis découragée, écoeurée et sans aucune illusion du corps médical ou soignant, je retrouve de l’espoir, j’échange, je discute avec des personnes dont je partage la même vision des choses. Je suis parfois émerveillée quand je lis des phrases entières que j’ai l’impression d’avoir écrites moi-même.

Quand il a été question de choses plus concrètes comme les propositions que l’on a faites la semaine dernière, deux sentiments contraires se sont immédiatement confrontés en moi:

– C’est incroyable que nous nous entendions tous sur ces idées formidables, que l’on arrive à un consensus sur un texte aussi ambitieux.

– Mais quand-même, j’y crois pas un instant, pas aux idées en elles-même bien sûr (quoi que sur certaines je me dis que quand-même on a fait fort:-), mais sur le fait qu’elles pourraient être réalisées.

Je savais qu’elles seraient un peu entendues… mais à ce point!

Pour ceux qui n’ont pas suivi, car peut-être il a échappé à  certains d’entre vous que ces propositions ont été au centre de l’actualité médicale toute la semaine, vous retrouverez ici la revue de presse: télés (journal de France 3, LCI, journal de la santé), radios ( france inter, RTL, etc) et a peu près tous les journaux…

Toute la semaine, nous avons été submergés de demande d’interviews  et ma frustration de devoir refuser pour cause d’anonymat n’a eu de soulagement que le fait de ne pas me sentir à la hauteur pour soutenir nos idées.

Tout cela, je ne le dis pas pour faire preuve de prétention mais surtout pour dire que la partie de moi qui ne sait pas rêver et qui n’a pas la foi, en a pris un petit coup cette semaine.

Bien sûr, il y a eu des schtroumps grognons pour nous critiquer.

J’accepte tout à fait qu’on critique ces propositions, surtout certaines d’entre elles.

J’accepte moins certaines autres critiques ou attaques que je ne trouve pas légitimes mais passons.

( je mets juste à ce sujet le commentaire de Dominique Dupagne à l’article GéPride de Dzb17: tout est dit dans cette belle métaphore:

Et comme toujours,
Il y a ceux qui balancent des vannes homophobes,
Il y a ceux qui monteraient bien sur le char, mais qui n’osent pas
Il y a ceux qui disent « pour qui y se prennent ceux-là ?
Il y a ceux qui disent « moi, j’aurais pas supporté d’avoir un fils pédé »
Il y a ceux qui disent « c’est pas des vrais pédés, les vrais pédés ont autre chose à foutre que de monter sur des chars »
Il y a ceux qui disent « c’est pas des vrais hommes, les vrais hommes sont pas pédés, c’est pas naturel »
Il y a ceux qui disent « Faudrait les forcer à habiter à la campagne, y’en a trop à Paris »
Il y a ceux qui disent « Ouais, mais si t’es pédé, tu vas rater ta vie »
Il y a ceux qui disent « OK, mais à part pédé, vous faites quoi dans la vie »
Bref, ouais, la Gé pride, c’est exactement ça. )

donc

Certes il y a eu des critiques, certes nos idées ne vont pas être réalisées demain.

Mais elles ont été entendues de beaucoup, beaucoup de monde, c’est un évènement sans précédent et tous les syndicats, les instances ordinales, et même le gouvernement en ont pris connaissance.

Et le plus fort, c’est que le contenu même de ce texte avouons le audacieux n’a pas fait rire, il a même été pris au sérieux:

Certains points comme la mise aux enchères des postes sont discutés mais personne ne semble mettre en cause l’idée de proposer des postes de salariés de deux ans aux jeunes généralistes pour irriguer les déserts,alors que la grande nouveauté est là.

On critique et c’est légitime la possibilité de transformer les visiteurs en AGI mais personne (ou presque) ne s’oppose à l’idée de mettre en place du personnel pour dégager les médecins des charges administratives et plus fort, je n’ai pas pour ma part entendue grande résistance à l’idée d’interdire la visite médicale.
Des notions totalement novatrices comme les chèques emploi-médecins ont été introduites .
Bref, nos idées ont été entendues et pour certaines (dans les déclarations tout du moins ) validées.
Pour la suite, la balle n’est plus dans notre camp. Il faut lire à ce sujet  l’article sur Atoute : le buzz et après.
Et tout ça, moi ça me fait rêver…
et j’ai même la naiveté d’y croire un peu, de croire que quelque chose puisse découler de tout ça.
Comme Souristine a intitulé son article la semaine dernière:
You may say I’m a dreamer,
but I’m not the only one…
Je ne suis pas la seule à avoir rêvé cette semaine:
A lire absolument!!
Nous avons tous rêvé et j’aime à croire qu’on a fait rêvé les gens.

 

Voilà, je m’emporte un peu, mais mon gêne de la foi et du rêve a été réveillé cette semaine
Voilà, même que là tout de suite, j’ai envie de croire que les choses peuvent changer,
qu’un jour les blouses d’hôpital ne s’ouvriront plus dans le dos,
qu’un jour je travaillerai dans une MUST
et pourquoi s’arrêter là…
qu’un jour, il y aura la paix dans le monde et toutes les choses qu’il y a dans la chanson!
En tout cas, si un jour, il y a la révolution, je suis certaine qu’elle passera par twitter!
Pour finir (oui c’est bientôt fini)
Je suis heureuse et fière d’avoir participé à tout ça. Pas pour m’auto-congratuler.
Mais parce que je pense que la médecine générale a fait une petite avancée cette semaine.
Parce que pour une fois, des idées venant du terrain ont été entendues.
Parce que je pense que nos blogs sont des petites gouttes dans l’océan pour faire évoluer les mentalités.
Parce que cette vision de la médecine générale que j’aime, je suis honorée de la représenter un tout petit peu.
Parce que moi qui suis un peu lâche et qui d’habitude laisse les autres faire pour moi, pour une fois, j’ai, même si peu, un peu participé.
Parce que je participe à ce phénomène épatant qu’est la médecine 2.0.
Et parce que je l’ai fait avec des gens formidables, que je respecte, qui m’apportent beaucoup, et dans des conditions particulièrement étonnantes de partage et de respect mutuel.
Je suis fière de faire partie des 24 bikers et j’arrête la ma mièvrerie de bisounours …



Imagine there’s no desert
It isn’t hard to do
Doctors to treat or take care of
Around us, lots of MUSTs
Imagine all the doctors
Living life in peace