Des enfants parmi d’autres

Il a 8 ans, je le vois pour un certificat de hand-ball. Tout va bien. Je lui demande si vraiment il n’a rien à signaler. Il me dit qu’il a un peu mal au coude depuis une chute pendant les vacances de la toussaint. Effectivement, en y regardant bien: le coude est très gonflé…

Elle a 10 ans, elle veut faire de la danse orientale. Le dossier est rempli de problèmes plutôt lourds mais aujourd’hui, elle ne se plaint de rien.

Il a 7 ans, des dents dans un état catastrophique, mais il est mignon comme tout. Il a également besoin d’un certificat du sport. Il a un retard de langage important pour lequel un bilan est en cours. Depuis trois mois, la recherche d’un orthophoniste est vaine. Un énorme merci à celle qui a accepté de le prendre en charge.

Sa soeur de 10 ans veut également faire de la danse orientale. Elle va bien mais à l’air contrariée d’être là.

Je vois trois frères et soeur entre 5 et 7 ans. Les deux frères sont des copies l’un de l’autre. Ils passent leur temps à se taper dessus parait-il. La petite fille a un abcès dentaire en cours de traitement, elle ne se plaint pas. « J’ai peur » me dit-elle à chaque fois que je fais un geste de l’examen. Son coeur bat la chamade, j’entends à peine le petit souffle tellement il bat fort. Chez son grand frère, je découvre également un souffle au coeur. Deux sur trois: bon rendement…

Il a 8 ans, il veut faire du karaté.Il a un sourire craquant mais ne comprend pas tout ce que je lui dis, il n’est en France que depuis quelques mois.

Il a 12 ans, vient car il a une bosse sur le genou. Il est très gentil, son traitement neuroleptique est bien équilibré. Il serait tombé mais malheureusement je pense qu’il s’agit plutôt d’une inflammation du cartilage de croissance qui impose une contre indication au sport chez ce jeune footballeur …

Il a 14 ans, visite de contrôle, tout va bien, je n’ai pas vraiment réussi à établir un contact mais bon.

Elle a 7 ans, elle ne parle pas, l’examen fait de manière systématique est normal. Des larmes silencieuses coulent le long de sa joue.

Consultations banales, des enfants mignons, des pathologies variées, des enfants parmi d’autres…

Mais ces enfants ont vécues des histoires dramatiques, ont vécu pour beaucoup leur courte de vie dans un climat de violence, le papa de l’un d’entre eux a tué sa maman, un autre a été placé par sa maman malade qui ne pouvait plus s’occuper de lui, pour beaucoup, ils sont placés à l’abri de leurs parents qui n’ont pas le droit de visite, chaque histoire est différente mais triste…

Ceux-là sont ceux que j’ai vu aujourd’hui lors de ma première vacation en tant que nouveau médecin d’un foyer de l’aide sociale à l’enfance.

Je vais en voir beaucoup d’autres, j’espère que je vais leur apporter autant que ce que moi je vais je suis sûre en retirer…

Les enfants et leurs sourires, leur résilience sont toujours pour nous une leçon de vie.

Je sais que cette nouvelle expérience va être très enrichissante…

L’homme qui murmurait à l’oreille des enfants

J’ai déjà raconté ici comment mon médecin savait parler aux enfants.

Je l’avais remarqué en stage, et je l’ai vu parler à ma fille. Je suis venue en consultation deux fois ( j’aurai bien voulu venir une troisième fois mais il exagère, il n’a pas voulu me recevoir en urgence la veille de Noël ) parce qu’elle avait des problèmes de comportement. Il lui a parlé et elle est devenue sage, enfin un moment ….

Depuis que j’ai observé, ébahie, le spectacle quasi magique se déroulant devant moi, j’essaie de suivre cette voie…

J’ai essayé une première fois, puis une deuxième et une troisième et devant le peu de réception de la part des enfants en face de moi, je me suis dit que n’était pas chuchoteur qui veut…

Il y a d’abord eu la maman de M. 4 ans. Elle est venue me voir seule, épuisée, me racontant qu’il faisait des colères atroces, qu’il tapait, qu’il insultait etc… Ce discours à forcément entrainé une empathie en moi vu que j’ai la même à la maison des fois. La première difficulté était donc de ne pas ramener à ma situation personnelle, de ne pas dire justement « j’ai la même à la maison » et d’entamer une discussion de « copines ». Il est difficile parfois de garder sa place de médecin et je ne le fais pas toujours. Il est d’ailleurs possible que j’aie parlé de ma fille et peut-être même que ça a aidé, l’expérience personnelle et l’improvisation  est une grande source d’aide face aux lacunes de notre formation, il faut juste savoir l’utiliser avec mesure. En l’occurrence, cela m’a aidé à comprendre la situation, à savoir que ce n’est pas que la faute des parents (hein!), à avoir des idées sur ce que je pouvais répondre…

La maman a comme c’est souvent le cas, formuler sa demande de la sorte: « Je pense qu’il faut qu’on l’envoie voir un pédopsychiatre ».

Je lui ai proposé si elle le souhaitait de venir me voir lors d’une consultation dédiée, en prévenant M. de la raison de sa venue, sans bien entendu présenter cela comme une punition. Et j’ai parlé…il n’a pas voulu m’adresser la parole, il m’a tourné le dos avec un sourire moqueur mais j’ai parlé…toute seule, un bon moment…

Je lui ai parlé comme à un adulte en lui disant que je savais qu’il comprenait ce que je disais, je me suis mise à sa hauteur, je lui ai dit qu’il avait le droit de ne pas être content des fois mais qu’il y avait des choses qu’il n’avait pas le droit de faire , qu’il avait le droit de donner son avis mais que c’était papa et maman qui commandaient, plein de choses, pas de menaces ni de culpabilisation, juste de l’information …

Je me suis inspirée de la consultation de mon médecin avec ma fille, et je me suis dit que c’était pas gagné, mais que peut-être un jour j’y arriverai et que au moins il avait entendu…

Peu de temps après, la maman de M. 5 ans est venu me voir parce qu’il vomissait tous les matins…En creusant un peu, on est arrivé à la constatation que c’était seulement les jours d’école, que d’ailleurs depuis quelque temps il pleurait devant l’école pour ne pas y aller et que la maîtresse avait noté qu’il y avait un souci avec un camarade je crois…Ok! Bon le diagnostic est fait, ce n’est pas le lait, il va bien, ce sera 26 euros et voyez avec l’école ou un  pédopsy ou votre belle mère ou votre coiffeuse, ce que vous voulez….Parce que moi c’est pas ma compétence…bon d’accord, je vais essayer: parlons un peu tous les deux…non je parle toute seule alors, j’ai l’habitude… Je sais plus trop ce que j’ai dit, du genre: »tu sais,des fois, il y a des choses qui ne se passent pas comme on veut, ça peut même donner mal au ventre, mais tu peux en parler à ton papa et ta maman ou à moi ( la bonne blague), tu seras écouté et aidé etc… »

Il y a aussi E. 4 ans ( oui, ils ont toujours 4-5 ans ces petits là) qui souvent se comporte mal pendant la consultation, même si ce n’est pas pour lui…Je lui fait à chaque fois mon petit numéro …

Mais je me disais vraiment que ça ne marchait pas avec moi,que je ne serai jamais le grand P. Docteur …

Quelques semaines plus tard: M. 4 ans, le premier, celui dont la famille était épuisée par des colères quotidiennes, est venu pour une virose…Je demande innocemment…

« Et comment ça va M. à la maison? »

« Ah docteur! Depuis la consultation de la dernière fois, il a totalement arreté ses crises et tout va très bien… »

…..

Elle dit ça pour me faire plaisir, hein, ou pour que j’arrête de lui prendre la tête  avec ça et que je me contente de faire mon travail et de soigner sa rhino…

Je l’ai revu plusieurs fois M. et il va bien, et surtout je ne manque pas de le féliciter….

Quand j’ai revu M. 5 ans et que j’ai pris des nouvelles de ses vomissements, la maman m’a répondu :

« Depuis le jour où on est venu, il n’y a plus eu de souci »

C’est la caméra cachée?

Bon, ça marche pas à tous les coups, E. tape toujours ses parents devant moi en consult mais ils ne sont pas encore venu pour une consultation dédiée et il paraît que la dernière fois, il a répété à sa grande sœur tout ce que je lui avais dit, et qu’il etait interdit de taper, et juste après il l’a tapée….

Donc, les enfants ne me parlent pas, mais ils m’entendent….

J’ai essayé avec un ado aussi, j’ai pas de retour pour l’instant…

Forte de ce succès miraculeux, hier je me suis fixée une nouvelle mission, je ne sais pas ce qui m’a pris d’ailleurs…

K. 2 ans est venu pour toux. Ce sont des patients de ma collègue mais je l’ai vu plusieurs fois. Dès qu’il me voit il pleure…Je regarde le dossier, la dernière fois, j’ai noté: Hurle!!!! Oui, je m’en souviens maintenant…Je demande, il hurle aussi avec ma collègue, ça va alors…

Et là, je ne sais pas pourquoi, j’ai décidé qu’il ne pleurerait pas aujourd’hui, j’en ferai une affaire personnelle, c’est l’avant dernier patient, je prendrai le temps qu’il faudra mais il ne pleurera pas…

Je l’ai laissé près de sa maman et des jouets, on a parlé, je l’ai fait rire, j’ai écouté le cœur du mouton, de la vache, de la poule, du cheval, du chien, de maman et de K? Non bon alors du mouton, de la vache et de K? Oui! Auscultation avec le tee shirt pour aujourd’hui mais c’est pas grave, on entend quand même…Avec le renfort des petits jouets de médecins en bois,K. m’a aidé à soigner les animaux et puis ensuite, j’ai regardé les oreilles de la poule, du mouton, de la vache, et elle fait comment la vache,de maman, de K. non toujours pas…. Les oreilles du mouton sont bleues et celles de K. sont quelle couleur? Bon, ça a pris du temps, on a pesé les animaux, un par un, j’avoue il a ouvert la bouche tellement peu de temps qu’en fait j’ai rien vu (mais il l’a ouverte!), il a voulu emmener ses copains les animaux en partant mais il a fini par les rendre….Sans pleurer!!

Ça a pris du temps et de l’énergie, je ne ferai pas ça tous les jours (enfin je le fais mais pas à ce point), ça avait peut-être pas tant d’importance que ça au fond mais moi j’étais fière de moi…

Bref, j’apprendrai peut-être avec le temps à murmurer de mieux en mieux à l’oreille des enfants…

Merci à celui qui m’a montré la voie.

Rien de magique en fait…

Il faut parler aux enfants (et aux parents bien entendu)

Les enfants ont juste besoin qu’on murmure à leur oreille…