Un peu différente

J’ai toujours été un peu différente à la fac, venant d’un milieu populaire au milieu d’une promotion des quartiers favorisés de la capitale .Originaire de Seine-Saint-Denis , j’ai néanmoins fait mes études à la faculté Broussais-Hôtel-Dieu à Paris. C’était direct en RER , géographiquement plus accessible que la faculté Bobigny, et même si celle-ci est une très bonne fac , nettement plus agréable je pense : Paris ,quartier Saint-Michel ,  rue de l’école de médecine .Je n’ai jamais regretté mon choix . J’ai eu parfois quelques difficultés à cotoyer les milieux un peu bourgeois , mais d’abord ce n’était pas une généralité, j’avais même une copine qui était boursière comme moi ( enfin moins que moi, moi j’avais une bourse totale, le must ) , et puis cela m’a appris l’ouverture d’esprit , je me suis fait de vraies amies malgré tout.

Le choc culturel était évident , beaucoup avaient un studio ou vivaient au coeur de Paris tous avaient des cours privés très onéreux mais néanmoins indispensables dans le système délirant de la première année de médecine ( j’ai eu quant à moi la chance de connaitre quelqu’un qui travaillait dans un de ces cours privés , ce qui m’a valu de bonnes réductions et surtout la rencontre avec mes meilleures amies ), personne n’avait de job en parallèle, même l’été comme moi ,et je dois l’avouer , au niveau culture générale, j’étais souvent un peu dépassée .

J’ai plutôt bien vécue cette différence , j’ai toujours été à l’aise avec mon origine sociale. J’ai reçu une bonne éducation et de très bonnes bases pour débuter dans la vie et si celle-ci a fait que j’ai connu tôt, de vrais problèmes et de vrais responsabilités, cela m’a rendue plus forte et plus déterminée . En outre,si je n’ai pas de médecins dans ma famille ou dans mon entourage proche qui m’aurait influencé , j’ai en revanche été amenée à être de l’autre côté de la barrière, ce qui a été je pense un enrichissement au total.

Tout cela a fait que j’étais déjà différente , mais cela s’est encore accentuée lorsque j’ai choisi , je dis bien choisi, de faire de la médecine générale .

En effet, quand tout le monde bosse à fond le concours de l’internat pour avoir la meilleure spécialité ( sous entendu la plus dure à avoir ,c’est donc la meilleure et c’est celle là qu’il faut donc faire , même si on ne sait pas en quoi ça consiste), moi j’avais pris ma décision : je voulais être généraliste. J’ai hésité un peu jusqu’au dernier moment avec la spécialité de gynécologie-obstétrique qui m’attirait , mais je sentais vraiment que c’est la médecine générale qui me plaisait. Je n’aimais pas la médecine d’urgence, je n’étais absolument pas faite pour la chirurgie (on me dit tout le temps qu’ayant sauté la dernière année de maternelle, j’ai dû louper les cours de découpage) , j’aimais toutes les spécialités , la pédiatrie , la gynéco ,sans pouvoir en choisir une exclusivement, surtout j’aimais les gens , tous les gens , de tous les âges , de toutes les sortes , et même s’ils n’avaient rien de grave, et j’aimais les revoir plusieurs fois .

Un jour ,en troisième année  j’ai demandé à mon généraliste à moi , le plus beau, le meilleur , d’assister à sa consultation (j’ai devancé la création du fameux stage d’externe).Ce fut une révélation : quelle variété , quelle richesse d’exercice : mais des femmes enceintes il en suit , mais de la pédiatrie il en fait , des « vraies maladies » bien graves , bien sérieuses , comme on les aime tant à l’hôpital , il en diagnostique et il en  suit …

Alors j’ai fait ma rebelle : moi je serai généraliste : par choix ! Gros silence autour de moi à chaque fois. Dans les milieux hospitaliers, il fallait du courage parfois pour le dire , et combien de fois j’ai entendu «  mais tu es brillante , pourquoi tu ne fais pas une vraie spécialité …» J’ai résisté à la pression , à la mauvaise tentation de se dire que puisqu’on avait la possibilité ( même si je suis allée assez fréquemment au cinéma , seule bien sûre les autres préparant maladivement le concours de l’internat , je l’ai quand-même préparé sérieusement et ai obtenu un résultat suffisamment honorable pour dire que ce fut un choix ) , il fallait choisir une spécialité d’organe .

A noter , même si tout le monde semble encore l’ignorer que je suis spécialiste en médecine générale .La réforme du concours de l’internat en 2004 en Examen National Classant , a transformé la médecine générale en spécialité .Il ne reste plus qu’à ce qu’elle devienne dans l’esprit des gens une «  vraie » spécialité .

A la question « pourquoi tu veux pas être spécialiste ? », la question qui me venait à l’esprit était «  mais pourquoi tu ne veux pas être généraliste ? »

Certes , il y a une question de goût et de compétences de chacun , tout le monde  n’est pas fait pour être généraliste , mais c’est beaucoup plus complexe que cela et il faut remonter à l’histoire des études de médecine.

Historiquement,  malgré les efforts depuis plusieurs années pour intégrer la médecine générale au cursus médical, celle-ci a longtemps été délaissée.

Jusqu’en 1949, date de la création des premiers certificats de spécialités, la formation était généraliste et les médecins se spécialisaient en cours de carrière.

La création des CHU en 1958 a réformé l’enseignement de la médecine générale. Son but était de rapprocher le savoir de la pratique en observant les grandes pathologies à l’hôpital et de promouvoir la recherche médicale.

Les chaires de pathologie ont été abandonnées au profit de la juxtaposition de spécialités : la médecine, sous ses aspects de réponse globale aux multiples problèmes de santé de la population, n’a plus été enseignée. L’hôpital cessait d’être le lieu de soins, d’observation et de recherche de la pathologie courante.

Dans les années 1970, les généralistes s’étaient mobilisés pour que la spécificité de la médecine générale soit reconnue et enseignée. En 1977, le Professeur Debré, initiateur de la réforme de 1958, au cours d’un colloque de pédagogie médicale à Marseille, se félicitait des premières réalisations de stages auprès du praticien comme un moyen de corriger  les conséquences néfastes de la spécialisation croissante de la pratique hospitalière pour la formation de la médecine générale.

Quelques semaines plus tôt, la résolution  du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adressait des recommandations aux gouvernements de la communauté européenne pour les inciter à une meilleure formation des omnipraticiens. Cette résolution insistait sur la nécessité de confier cette formation avant tout aux omnipraticiens eux-mêmes, à égalité de moyens avec les autres spécialités et de réaliser cette formation sur le terrain même où elle devrait s’exercer, au cabinet du médecin généraliste.

C’est en 1982 que la loi du 22 décembre propose la mise en place d’une filière universitaire de médecine générale. Les premières expériences de formation spécifique à la médecine générale se généralisent à toutes les facultés.

En 1983 le Collège National de Généralistes Enseignants prend naissance pour fédérer les collèges régionaux au sein desquels les enseignants de médecine générale se regroupent. Depuis cette époque, le CNGE contribue à l’organisation d’enseignement de médecine générale dans les facultés françaises.

Jusqu’en 2004, les futurs généralistes ne passaient pas le concours de l’internat, réservé aux futurs spécialistes .Le deuxième cycle était suivi d’une période appelée résidanat qui durait deux ans et demi puis trois ans à partir de 2001.

La médecine de spécialité était donc la voie de réussite, la médecine générale étant réservée aux étudiants échouant au concours. Pendant ces années, en dehors de certaines vocations vraies qu’il ne faut pas oublier, la filière de médecine générale a souvent été un choix par défaut.

En 2004, le concours de  l’internat a été remplacé par l’Examen National Classant, obligatoire pour tous les étudiants à l’issu duquel  le classement détermine le choix de la spécialité .La médecine générale devient une spécialité médicale à part entière.

Cependant, les chiffres montrent que les étudiants ne choisissent pas cette spécialité.

En cinq sessions d’Examen National Classant, 3439 postes d’Internes de Médecine Générale sur 12 660 n’ont  pas été pris par les étudiants de deuxième cycle d’études médicales, soit plus de 27%, alors que hormis la médecine du travail et la santé publique, 100% des postes proposés dans les autres spécialités ont été pourvus.

Les affectations montrent que la médecine générale reste l’une des spécialités la moins attractive. En Ile-de-France, la moitié des postes sont affectés à la médecine générale aux alentours du 3000ème rang. Depuis la réforme de l’ENC, on y observe un accroissement significatif des internes de spécialités  avec un effondrement des internes de médecine générale .Ce phénomène tend cependant à s’atténuer ces dernières années. La médecine générale est choisie plus tôt et plus fréquemment.

En effet, comment choisir quelque chose que l’on ne connait pas ? Depuis le début du cursus, seule la pratique hospitalière est mise en avant. Non seulement l’essentiel des stages pratiques est hospitalier mais de plus le contenu théorique de l’enseignement traite essentiellement des pathologies hospitalières. Malgré les changements amorcés depuis la reforme de l’ENC qui visent à l’intégrer davantage, depuis des décennies la médecine de ville est exclue des enseignements jusqu’à la fin du deuxième cycle, moment où doit se faire le choix de la spécialité.

Certes il existe le stage chez le praticien lors du troisième cycle. Ce stage extra-hospitalier prévu par la loi en 1972 n’a été mis en place qu’en 1982 de manière facultative puis rendu obligatoire en 1988.Il s’effectuait alors en parallèle des stages hospitaliers sous la forme d’une vingtaine de demi-journées où le rôle de l’interne était essentiellement passif .Ce n’est qu’en 1997 , 25 ans après , que sa durée est allongée à un semestre complet. Le stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (SASPAS) vient compléter ce stage chez le praticien  dans le but de compléter la formation ambulatoire des futurs généralistes.

Ces stages chez le praticien sont un succès et sont souvent une révélation pour les étudiants qui se retrouvent alors souvent pour la première fois confrontés à leur futur métier qu’ils ont choisi parfois à contrecœur .Certains au contraire ne sont pas faits pour ce genre de pratique et cette découverte tardive explique en partie la diminution du nombre d’installation de nouveaux médecins généralistes libéraux .

Quoi qu’il en soit, ce stage chez le praticien, aussi primordial soit-il lors du troisième cycle, arrive trop tard pour influencer le choix des jeunes médecins vers la spécialité de médecine générale.

Le CNGE et l’ensemble des enseignants en médecine générale réclament depuis des années un stage chez le praticien pendant le deuxième cycle.

En 1997, un premier arrêté ministériel régissait la mise en place d’un stage en Médecine Générale ambulatoire pour les externes. Cet arrêté du 4 mars 1997 prévoyait que chaque étudiant devrait effectuer pendant la deuxième partie du DCEM  un stage d’initiation àla Médecine Générale.Mais ses modalités d’organisation variaient en fonction des facultés tant sur le nombre de demi-journées à effectuer que sur l’année pendant laquelle ce stage devait être réalisé.  Durant 10 ans, les manques de moyens humains et financiers n’ont pas permis une mise en place effective de ce stage dans les différentes facultés. Un deuxième arrêté, paru le 23 novembre 2006, était censé répondre aux difficultés rencontrées depuis 1997, et être un pas supplémentaire vers la concrétisation du stage de deuxième cycle. Le 18 juin 2009, un nouvel arrêté abroge le précédent. Il réaffirme la durée du stage de 3 mois à mi-temps ou 6 semaines à temps complet, mais aussi son financement sur le budget du Ministère dela Santé.

Ce stage ne commence que très récemment à se mettre réellement en place. Un des principaux obstacles actuellement, maintenant que la volonté de développer ce stage est enfin réelle, est de trouver un nombre suffisant de maitres de stage  disponibles à accueillir les étudiants.

Ainsi, les efforts pour réhabiliter la médecine générale se multiplient mais celle-ci reste très en retard. La volonté de faire de la médecine générale une spécialité reste très théorique.

Les syndicats  se mobilisent pour la reconnaissance du statut de spécialiste, statut qui n’est toujours pas vraiment reconnu. Le DES de médecine générale n’a toujours pas de filière universitaire .Celle ci se met en place tout doucement avec cette année la nomination des premiers chefs de cliniques en médecine générale et le développement de la recherche en médecine générale.

Il a fallu une mobilisation  forte pour obtenir la revalorisation  du C de la consultation de médecine générale à 23 euros, c’est-à-dire à l’équivalence du Cs  des consultations de spécialistes, qui a été mise en place au 1er janvier 2011, revendication , qui était surtout symbolique .

Je n’ai à aucun moment regretté mon choix , pour moi c’était le bon , la médecine générale est ce que j’aime et ce pour quoi je suis douée .

Après le concours , pendant l’internat de médecine générale, on se retrouve entre internes en médecine générale , ma différence aurait du s’effacer. Mais pas tout à fait, car comme nous venons de le voir, les internes en médecine générale se retrouvent souvent là par défaut , parce qu’ils n’ont pas pu accéder à la spécialité tant convoitée ( laquelle ils ne savent pas mais une spécialité quoi ) , donc beaucoup cherchent à faire autre chose que de la médecine générale et s’attardent dans les services d’urgence, de réanimation  ou de pédiatrie dans lesquels ils passent pendant leur internat ou passent des diplômes accessibles aux généralistes comme des capacités de gériatrie ou de médecine d’urgence .

Au total , et c’est l’échec du système , peu d’internes en médecine générale se destinent à l’exercice de la médecine générale et qui plus est libérale. Le nombre des installations diminuent .

Actuellement, on observe une amplification du manque d’attrait des jeunes diplômés pour l’exercice ambulatoire de la Médecine Générale : deux médecins généralistes sur trois sortants de formation optent pour un poste salarié.

L’URLM d’Ile-de-France a réalisé en janvier 2008 une étude auprès des jeunes médecins généralistes :  « Recherche médecin désespérément : motifs et freins à l’installation en libéral en Ile de France ».Les résultats montrent que les principaux freins à l’installation en libéral sont les charges administratives, l’investissement financier initial, la gestion comptable du cabinet, la perte du travail en équipe, le temps de travail hebdomadaire, les difficultés à se faire remplacer, l’insécurité .

Il existe des mesures incitatives à l’installation, mais elles sont également méconnues, floues et pas forcément respectées .Il n’existe pas de communication envers les jeunes médecins.

De plus, les textes de lois récents mettant en péril la liberté d’installation des médecins généralistes  en instaurant des mesures coercitives, ne vont pas du tout dans le sens de rendre la médecine libérale attractive  et soulèvent un fort mécontentement chez les jeunes médecins.

Quoi qu’il en soit, mauvaise orientation initiale, peur de quitter le travail en équipe , en groupe , tel que l on a connu pendant la quasi- totalité de nos études , peur des contraintes et de la charge de travail , le nombre d’installation des jeunes médecins est faible .

Lorsque j’ai passé ( il n’y pas si longtemps que cela je dois l’avouer après un joli triplement) mon DES ( diplôme de fin d’études) , et que je suis passée devant le jury , je n’étais pas très à l’aise car j’avais un peu trainé pour me présenter ( trois petites années) et mon dossier n’était pas tout à fait complet ( recherches bibliographies, attestations de présence : quelques élements avaient été égarés après tout ce temps, j’ai même du réassister à des cours pour avoir les attestations : c’était plutôt marrant ) , mais j’avais l’argument choc pour séduire le jury : outre la présentation de mon brillant parcours et de ma brillante thèse , la réponse à la question : et maintenant que voulez-vous faire : « je m’installe en libéral ! »

Après avoir vu passer successivement des internes qui faisaient de la gériatrie / de la pédiatrie / de la réanimation / et des urgences , moi la dernière de l’après-midi, j’ai du tout de même leur réchauffer un peu  le cœur .

Et le coup de grâce ( là, de différente, je suis passée directement à extra-terrestre) : « En Seine-Saint –Denis !»…

Réponse du président du département de médecine générale de la plus grande faculté de médecine parisienne , admiratif : « Nous, quand on va en Seine-Saint-Denis , on prend de la nivaquine » …

 

NB 1: la nivaquine est le traitement que l’on donne en prévention du paludisme lorsqu’on part dans des certains pays étrangers

NB 2: vous avez trouvez des passages ennuyeux non ? Je vous l’avais dit :camouflage !