Ces petits riens

Il y a des jours où je n’ai pas envie de me lever (bon tous les jours en fait) mais aujourd’hui une petite victoire a justifié cet effort, ce fut mon petit plaisir de la journée.

Il y a un mois, un papa d’une quarantaine d’année, malgache, accompagne sa fille en consultation. C’est la première fois que je les vois. En se levant de sa chaise dans la salle d’attente, il fait tomber son paquet de cigarette de sa poche. Il n’en faut pas moins à mon côté moraliste anti-tabac de toujours pour faire ma petite réflexion sur le fait que ce n’est pas bien de fumer, sa fille acquiesce et lui aussi. C’est la dernière patiente de la journée, après la consultation, nous revenons donc sur le papa qui fume et qui a semblé réceptif à ma petite remarque. Une consultation (gratuite, pour l’arrêt du tabac c’est cadeau !) facile en fait puisqu’il est déjà dans la phase de contemplation et de préparation, il ne lui manquait qu’un petit déclic pour passer dans la phase de l’action. Il repart avec une ordonnance  de patchs, mais il est fortement dépendant  avec des signes de bronchite chronique débutante, ce n’est pas gagné .Peu doivent utiliser les ordonnances de patchs que je leur prescris .Mais cette fois-ci, j’ai quand-même un bon pressentiment.

Ce matin, il revient me voir, je mets quelques secondes à me souvenir de lui .Il revient pour le renouvellement de son ordonnance de patchs, et pour me choisir comme médecin traitant ! Il ne fume plus depuis un mois et il me remercie car c’est grâce à moi … Mais non, monsieur R., c’est moi qui vous remercie, non seulement vous avez fait tout le travail, mais en plus, vous me faites le plaisir de me faire croire que c’est grâce à moi.

Parfois, je me dis que je ne serai jamais un grand médecin qui fera des découvertes  qui changeront l’histoire de la médecine, je ne ferai jamais une opération compliquée qui sauvera la vie de quelqu’un, pas de trachéotomie avec un stylo, je n’ai pas la carrière de mes amis spécialistes trépidante, variée, avec des congrès au bout du monde. Non je n’aurai pas de carrière « extraordinaire », mais juste des petits riens ordinaires de tous les jours, mais peut-être que ce sont ces petits riens de tous les jours  qui sont les plus importants: « ces petits riens mis bout à bout »

C’est mon pari. J’ai choisi ce métier. Je crois que c’est pour cela que je suis douée. Avec mes deux mains gauches et mon sens de l’urgence totalement absent  (j’étais douée pour tenir les perf lors de mon stage au SAMU en me concentrant pour surtout ne pas gêner), c’est sûr que ce n’était pas ma voie, mais à l’inverse, être auprès des patients pour les petites choses de la vie, être un grain de sable dans leur vie, être à l’origine du petit détail qui peut-être  fera que …

Cette intimité, cet échange permanent avec les patients , des inconnus après tout qui viennent me confier des choses qu’ils ne disent pas à d’autres personnes , qui sont souvent à des périodes de souffrance dans leur vie , ou de joie parfois, quand ils m’amènent leur bébé pour la première fois par exemple , ce partage au quotidien est un enrichissement de chaque jour .

A la fin de ma journée parfois difficile et pénible, ce sont tous les petits riens qui me donneront l’impression que cette journée a été riche.

A la fin de leur journée, outre le fait que j’ai brillamment soigné la rhino du petit, peut-être qu’un petit détail de la consultation, un conseil, une parole, une écoute attentive les aura marqué.

Souvent, il s’agit d’un petit impact, mais parfois, un grain de sable germe et c’est ma petite victoire de la journée. Après tout, si monsieur R. dit que c’est grâce à moi, laissons le faire. Non, un médecin généraliste ne sauve pas des vies …quoi que …

 

 

 

5 réflexions au sujet de « Ces petits riens »

  1. J’ai vécu un peu la meme chose avec mon nouveau généraliste.
    Lors d’une consult pour mon fils il m’as lancé une petite remarque qui a germée dans mon esprit et puis je suis revenue le voir…

    Je suis dans les débuts de mon « Combat » mais je ne le remercierais jamais assez (meme si je ne penses pas lui dire un jour que tout est partis de cette petite remarque) d’avoir eu cette petite phrase.

    Comme tu dis… « Ces petits riens » font parfois beaucoup de bien

  2. rien à redire, on a la même affection pour la médecine générale, mais sisi, on sauve des vies souvent sisi 😉 mais surtout on fait en sorte qu’elles soient plus agréables !! en tout cas ton récit m’aide à me re-re-re convaincre qu’il faut parler du sevrage aux tabagiques, doucement et humblement, sans insister ni culpabiliser bien sur, mais ne jamais laisser tomber

    • Si je me souviens bien de mes cours de santé publique en P1 (je m’en souviens forcément mieux que mes cours de biostats…), il me semble que au plan statistique (justement, tiens) une seule chose à un réel impact sur l’espérance de vie d’une population: la prévention. Alors, vacciner, dépister, informer et aider au sevrage…ça sauve des tonnes de vies! C’est juste moins spectaculaire que la Réa…

      • j ‘ai vu une grande spécialiste converser patiemment des heures à propos d’un vitiligo invisible:cela m’a confirmé l’importance des petits riens 🙂

  3. Ping : Y’a-t-il un médecin dans l’avion? | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

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