Moi aussi j’ai une fée chez moi ….

 Attention ! Après, ceci, tous les lecteurs médecins voudront venir s’installer en Seine-Saint-Denis, et même les malades voudront venir y vivre. Il va y avoir un exode vers la Seine-Saint-Denis.

Car, je l’ai déjà dit, la vie en Seine-Saint-Denis est parfois très agréable, il y a des atouts souvent méconnus à l’exercice dans ce département, j’y reviendrai, mais en Seine-Saint-Denis, nous avons quelque chose que personne n’a ailleurs : le centre de ressources pour mini-réseaux de proximité, et nous avons des magiciennes…

J’ai déjà dit qu’il y avait des personnes motivées en Seine-Saint-Denis, des associations et des initiatives admirables, du dynamisme. Moi, je connais une personne formidable, qui change ma vie et celle de mes patients.

Car le métier de généraliste est difficile. Il y a le côté médical qui est déjà un vrai défi en soi mais il y a tout ce qu’il y a autour, toute la prise en charge sociale. Il est vrai que cela dépend du type et du lieu d’exercice, mais à partir du moment où la maladie, le handicap, la dépendance apparaît dans la vie de quelqu’un, les problèmes sociaux ne tardent pas à suivre, et même les médecins généralistes ne travaillant pas dans des milieux défavorisés comme en Seine-Saint-Denis, ont je pense leur exercice médical souvent « parasité » par des problèmes non médicaux.

Le problème est surtout que lors de notre formation, nous avons été très peu formés pour gérer tous ces « soucis annexes » qui nous tombent dessus. L’autre problème est que la mauvaise organisation de notre société est telle que le médecin généraliste se retrouve seul pour gérer des choses qui ne sont pas de son ressort.

Quelques exemples :

-Mme B. 56 ans , très active, avec ses grands enfants à charge a depuis deux ans environ une maladie neurologique qui a tardé à être étiquetée qui s’avère être une sclérose combinée de la môelle et aussi une neurosarcoidose ( tant qu’à faire !). Elle a une perte d’autonomie progressive et ne pouvant plus se déplacer au cabinet de son médecin et  celui-ci ne faisant pas de visites à domicile, je deviens son nouveau médecin traitant. Rapidement ( aucun lien de cause à effet bien-sûr) les choses se dégradent, elle est hospitalisée, puis je suis appelée en catastrophe un vendredi alors qu’ils l’ont fait sortir sans penser qu’elle ne pouvait pas marcher ni faire ses sondages urinaires, sans savoir du tout ce qui se passait à domicile. Après un week-end catastrophique, lourd de conséquences psychologiques pour elle et ses enfants, je la refais hospitalisée ( son neurologue était dans ses petits souliers, il n’était même pas au courant de sa sortie ) et ensuite elle ira en maison de repos en attendant de mettre les aides à domicile au point. Les problèmes qui se posent devant une perte d’autonomie avant 60 ans sont nombreux. Pour que Mme B. puisse rentrer à domicile, il faut coordonner les aides à domiciles, soins  infirmiers , aides soignantes pour la toilette (mission quasi impossible). Mais il y a surtout un problème financier, prise en charge du maintien à domicile, son salaire qui n’est plus versé, loyer qui n’est plus payé, et moral : se retrouver dans une situation où l’on a plus l’énergie de gérer comme il faut tous les problèmes matériels, où tous ces problèmes financiers empêchent de se consacrer au plus important : se soigner. Il est difficile de se rendre compte tant que l’on ne l’a pas vécu de la détresse d’une telle situation. Et c’est le médecin généraliste qui se retrouve au milieu de tout ça, que faire ? Compte tenu de l’âge, on ne peut pas compter sur la mairie pour mettre en place l’APA (Aide personnalisée d’Autonomie) ce qui en général marche assez bien, il faut faire une demande de PCH ( Prestation Compensatrice du Handicap) à la MDPH ( ancienne COTOREP). Premier obstacle : il faut que le médecin généraliste connaisse (honnêtement je connais car j’y ai été confrontée dans ma vie personnelle), ce qui n’est pas gagné et surtout le délai est extrèmement long ( 6 mois minimum en Seine-Saint-Denis ) , et en attendant ? et pour tout le reste (loyer, employeur etc) ? Et bien, on est bien embêté ? On dit à la patiente, qui ne peut pas se déplacer ou à ses enfants de contacter l’assistante sociale du secteur (même s’ils trouvent l’énergie de le faire, ils auront par chez nous beaucoup de mal !) On compte sur l’hôpital ( ah ! ah ! ah ! ) …Bref, c’est une situation qui personnellement en plus du fait de prendre beaucoup de temps, dépasse mes compétences…et Mme B. est toute seule dans sa détresse.

-Mme D. 78 ans, vit avec sa fille handicapée sous curatelle, en dehors d’une dépression avec des crises hautes en couleurs régulières, médicalement je m’en sors. Mais souvent, elle me fait part de ses problèmes financiers, son téléphone est coupé, la curatelle ne lui donne pas l’argent de sa fille, il n’y a personne pour aller chercher les médicaments, elle ne peut plus acheter de quoi faire à manger, elle est  isolée.Elle demande à être mise sous curatelle : euh oui mais on fait comment ? ah oui faut que vous alliez au tribunal d’instance chercher un dossier : OK ?  Je renouvelle son ordonnance en majorant les anxiolytiques et je fais quoi ? Je lui dis d’appeler l’assistante sociale (qui ne répond jamais) elle va me répondre que son télephone est coupé…Bon ben salut, on se voit le mois prochain ….

-Mr D. pour ceux qui suivent (une matinée) qui n’a toujours pas d’aide médicale après 9 mois, il a bien déposé son dossier pourtant ! Il ne peut toujours pas se soigner et a des dettes pour ses consultations aux urgences.

Je pense que je ne suis pas la seule à être désarmée devant ce genre de situation et je pense que ce sont les patients qui en pâtissent le plus et qui restent dans des situations inextricables …

Enfin désarmée, moi je ne le suis pas ! Face à une telle situation, je prends mon télephone, le numéro que j’ai mis dans mes favoris, je laisse un message et c’est bon je peux aller jouer au golf (oui genre !) le problème est réglé ! C’est aussi simple que ça. Il y a une petite fée qui va venir s’occuper de tout …

Non, vous ne me croyez pas ! Et bien si !

-Pour Mme B., malheureusement son état médical ne s’améliore pas et elle est toujours en maison de repos mais entre temps, mais la fée est venue la voir à domicile plusieurs fois ou à la maison de repos. Elle a appelé la MDPH des dizaines de fois, la PCH a été accordée et quand un retour à domicile sera possible, elle organisera et coordonnera les divers intervenants, elle a contacté l’employeur et a fait toutes les démarches pour que soit obtenu le maintien de salaire en longue maladie ( et quand cela implique des détails comme aller chercher un papier, me le faire remplir, le renvoyer tamponné etc , et bien, elle le fait, elle se déplace), elle s’est arrangé avec le bailleur pour le loyer. Elle m’appelle pour me donner des nouvelles ou m’en demander, est à la disposition de Mme B. ou de ses enfants en cas de besoin. Je ne sais pas si on peut se rendre compte de l’impact de cette démarche, pour le médecin mais surtout pour Mme B. et ses enfants.Ca a changé sa vie, elle doit déjà gérer la difficulté de sa maladie mais maintenant c’est dans les meilleurs conditions possibles. L’aide matérielle certes mais avant tout morale est inestimable !

-Pour Mme D., elle s’est rendue à son domicile plusieurs fois, a harcelé le service social de la ville pour qu’ils prennent Mme D. en charge, a contacté la curatelle de sa fille et même si je ne dis pas de bêtises avec la permission de Mme D. a parlé à sa banquière. Elle va s’occuper de ses factures du mieux qu’elle peut et pour la demande de mise sous curatelle, m’a dit « je m’en occupe » , ah bon d’accord alors !!

-Elle s’est rendue au domicile de Mr D., a contacté ( le mot est doux pour le mal que ce fut ) la sécu pour comprendre pourquoi le dossier n’était toujours pas à jour (ne soyons pas mauvaise langue, mais il semblerait que ce ne soit pas inhabituel que les dossiers d’ AME trainent en longueur), s’est mise en relation avec l’assistante sociale de l’hôpital pour les factures des urgences, reste en contact avec eux etc…

Je ne sais pas si je vous fais sentir l’importance cruciale de son travail, mais personnellement si je trouve que j’ai pu apporter quelque chose à ces patients, c’est de les avoir mis en contact avec elle …

Cette fée s’appelle Ozgur et je n’ai pas encore le plaisir de connaitre son amie fée Sarah , j’écris ceci avec leur autorisation. Elle font parti d’une association qui se nomme : centre de ressources pour mini-réseaux de proximité en Seine-Saint-Denis. C’est une initiative originale et à mon sens brillante développée par quelques personnes dynamiques dont le principe est d’expérimenter une pratique de coordination des trajectoires de soins des patients en situation de crises et suivis par leur médecin traitant, expérimenter un nouveau métier : le coursier sanitaire et social avec une méthode d’intervention individualisée, déboucher sur la mise en place d’un service de santé polyvalent qui permette de réduire les inégalités pour l’accès au soin des patients en situation de crise.

voici une petite présentation de leur association qu’elles m’ont permi de publier ici :

Il faut comprendre à quel point cette association à la fois extraordinaire et en même temps semble tout à fait logique… Cela est tellement positif pour tout le monde que je ne comprends pas qu’elle doivent lutter énormément pour se développer et surtout pour obtenir des financements. Les financements m’ont-elles avouée risquent de ne pas être renouvelés … mais elles continueront à s’occuper des gens quand même …même sans financement … Je trouve qu’une telle initiative devrait être aidée, soutenue, facilitée et développée partout .En attendant , et pour combien de temps je ne sais pas , mais on ne trouve ces fées que chez moi …En Seine-Saint-Denis …Et je profite de cette occasion pour remercier Ozgur de toute l’aide qu’elle m’a apporté jusqu’à maintenant et surtout au nom de  Mme B. Mme D. et Mr D..et lui exprimer toute mon admiration …

Centre de ressources pour mini-réseaux de proximité en Seine Saint Denis

Bref historique :

Ce projet est à l’issue de plusieurs années d’expérimentations menées par Mme Sibel BILAL, avec une partie des médecins généralistes membres de l’ANGREHC (Association Nationale pour la Recherche et l’Etude sur les Hépatopathies Chroniques) mais aussi membres fondateurs des réseaux Ville Hôpital. Les résultats des actions réalisées ont aboutit aux modalités du système actuel.

Il part du constat principal qu’une grande partie de la population en situation de rupture sociale est du au fait d’accident de vie ou de maladie, et que ces situations créent aussi des conséquences sociales. Ces personnes en situation d’extrême fragilité sont emmenées à de multiples facettes de l’exclusion. Leur point commun est qu’ils sont quasiment tous en contact avec un médecin généraliste, un pharmacien et/ou un hôpital. La prévention sociale et sanitaire est donc importante.

1) Moyens et Objectifs

Le Centre de Ressources est une structure polyvalente de santé, mobilisée sur appel des médecins traitants, qui propose l’intervention d’une « équipe sociale mobile » constituée de « Coursiers sanitaire et social ». L’action a été financée dans un premier temps par l’URCAM puis par l’ARS dans le cadre du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS).

Elle vise à :

– coordonner les trajectoires de soins des patients en situation de crise et suivis par leur médecin traitant,

– mutualiser et coordonner les moyens humains,

Les coursiers agissent comme interface avec le système socio-sanitaire du patient, de son entourage et des professionnels de la santé. Ils vont à la rencontre des institutions et des différents dispositifs médico-social.

2) A qui s’adresse-t-il ?

– Aux patients de la Seine-Saint-Denis en situation de crise du fait de leurs facteurs de vulnérabilité socio-sanitaire ou d’un accident de vie (deuil, licenciement, séparation…) suivis par leur médecin traitant.

L’existence des différents services de proximité ne sont pas forcement connus ou parfois difficiles d’accès pour les personnes en situation de crise sanitaire et sociale. Immobilisée par la maladie, fatiguée ou dépassée, elles n’ont parfois pas la force d’effectuer les démarches nécessaires pour l’accès ou le maintien de leurs droits.

– Au médecin traitant, qui grâce à l’intervention des Coursiers Sanitaire et Social, permet de se libérer de la gestion des problématiques sociales, afin de se centrer sur la santé de son patient.

3) Prestations et services

– Bilan socio-sanitaire individuel

– Cartographie des réseaux du patient

– Lien avec les dispositifs médico-social

– Réunions de Concertation Pluridisciplinaire de Proximité

– Plan d’action individualisée avec le médecin traitant

– Dérogations tarifaires : Indemnisations des RCP et RCP 2

Définition de la Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) : C’est une réunion de concertation entre les différents intervenants autours du patient nommés par le patient pour la résolution de sa situation. Elle se tourne plutôt vers les professionnels de soins de ville mais, il est évident que les spécialistes sont invités si nécessaire.

Définition de la Réunion de Concertation Pluridisciplinaire de Proximité (RCP²) :L’ensemble des intervenants des RCP se réunit avec le patient avec pour objectif à la fois une alliance thérapeutique, et un effort d’harmonisation des décisions en s’appuyant sur le contexte environnemental (social, économique, psychologique, relationnel) des personnes malades et sur des référentiels de pratiques issue des conférences de consensus, recommandation de la HAS, du guide des alertes socio-sanitaires et du guide social des médecins.

Prise en charge de séance de psychothérapie (4 maximum)

4) En pratique: comment procéder ?

Le médecin généraliste :

repère une « situation de crise » et contacte le centre en temps réel, un Coursier Sanitaire et Social (CSS) se déplace immédiatement et/ou en différé sur RDV au domicile du patient ou au cabinet du MG ou un lieu au choix du patient (café…)

 

Rôle du CSS :

Effectuer un diagnostic socio-sanitaire ;

dresser une fiche d’intervention individuelle/patient

établir un plan d’action,

faire des démarches avec et/ou pour le patient

exemple: préparation de l’entrée des patients à l’hôpital et organisation de leur sortie ; mobilisation des services sociaux adéquats ; mise à disposition des MG des référentiels de l’HAS.

5) Partenaires Principaux adhérents du Centre de Ressources

– Réseau DIANEFRA 93 (prise en charge des patients diabétiques)

– Réseau Oncologie93

– Réseau Aulnay93 (VIH/SIDA – addictions-hépatite C)

– Hôpital R. Ballanger à Aulnay-sous-Bois

– Maison Médicale de Garde à Aulnay-sous-Bois

– ANGREHC (Appui technique/Hépatites B et C et Hépatopathies chroniques)

– Centres de santé et services sociaux

Le siège de l’association se trouve au 3, Place Tavarnelle 93220 Gagny. Présidé par le Dr X.AKNINE et le secrétaire/trésorier Dr P.GRUMBERG.

Vous pouvez nous contacter par mail : centrederessources-mrp93@orange.fr

ou par téléphone au 06 49 02 39 88 / 06 98 19 39 88

 

8 réflexions au sujet de « Moi aussi j’ai une fée chez moi …. »

  1. on veut les même par ici ! 🙂
    c’est fout tout ce qu’on demande d’énergie et de justifications aux personnes les plus fragiles pour obtenir les aides les plus basiques ! ça n’y paraît pas, comme ça, mais quelqu’un qui va bien aurait déjà du mal à faire toutes ces démarches, alors quelqu’un qui va pas bien …

  2. t’as raison pour l’envie d’exode vers la Seine -saint-Denis…à moins que l’autre bonne idée soit d’exporter le modèle: répandre une pluie de fée sur la France depuis chez toi, ça serait magnifique, à je rêve !!

  3. ça existe ailleurs ! chez moi en franche comté, le réseau arespa qui au départ a été développé par le réseau des soins palliatifs de la région, et qui s’étend maintenant aux situations complexes à domicile (« jugées complexes par le médecin traitant »).
    leur site est là : http://www.federation-reseaux-sante-fc.com/fiches_pdf/reseauARESPA.pdf .
    c’est effectivement un appui indispensable pour toutes les situations que nous n’avons pas apris à gérer, quand ce n’est pas médical ! j’y ai eu recours quelques fois, ma fée à moi se déplace aussi chez le patient et règle tout ses (mes) problèmes …

  4. Une belle initiative que nous tentons sur notre territoire : mais la question des moyens de qui finance revient cruciale…
    et pourtant, il n’y a jamais eu autant d’argent qui circule… cela laisse un goût amer !

  5. Ping : Deux thèses à partager | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

  6. Je suis aussi très surprise que ce dispositif ne soit pas plus connu et ne se développe pas plus. Travailleur social de formation, j’ai dans ma très proche famille des médecins.
    Justement nous partagions ces constats: ces situations difficile qui nécessite un suivi particulier et de la nécessité de lien entre le soin et la prise en charge sociale.
    Pourtant j’ai des connaissances sur des dispositifs ou sur la mobilisation de partenaires qui pourraient faire gagner du temps à un médecin qui ne connaît pas forcement et n’a pas le temps de gérer ces demandes. Et le médecin pourrait se focaliser sur l’accompagnement therapeutique et psychologique du patient.
    Cette relation social médical existe dans le milieu du handicap, au sein de l’hôpital avec les permanences d’accès aux soins.
    Pourquoi alors créer quelque chose de nouveaux ? Est il si inenvisageable que le médecin et le travailleur social de secteur se coordonnent ?
    Je vais regarder plus en détail cette expérimentation qui a le mérite d’exister..
    Merci de la partager.

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