Terre d’accueil

Mr A. a 30 ans. Il est professeur d’université, d’une famille aisée et cultivée…

Il était…

Mr A. désormais cherche en vain n’importe quel emploi, de balayeur à serveur en passant par maçon et éboueur….

Mr A. a une grande famille, aimante, des frères et soeurs, des cousins des cousines. Son père était le directeur d’une université…

Il avait…

Son père et son frère sont morts et sa famille est éparpillée…Il est seul…

Mr A. avait une vie sociale bien remplie, probablement beaucoup d’amis, était probablement amoureux….

Il est seul…Aucune famille, aucun ami, aucun travail…

Il a tout quitté il y a 2 ans, pour traverser la moitié de la terre en provenance d’un pays d’Asie, pour sauver sa peau…pour ne pas être arrêté et tué comme son frère, comme son père…parce que sa famille avait critiqué le pouvoir en place, quelque chose comme ça dont je ne sais pas les détails…

Il a traversé seul, à son jeune âge, de nombreux pays…

Il est arrivé en France, confiant. Il pense que sa demande d’asile sera acceptée. Elle est légitime….S’il retourne dans son pays, il sera exécuté…Il a les papiers du tribunal qui le condamne à mort, il y a son nom dessus. Il est confiant. Il ne peut pas en être autrement…

Alors en attendant, il galère, seul, sans argent, sans personne mais il pense à sa vie qu’il va peut-être, même si c’est dur, reconstruire…Il a des projets. Son anglais parfait ne suffit pas, il apprend le français…il est confiant…

Je suis son médecin depuis que par hasard, lors d’une consultation à la Maison Médicale de Garde, je lui ai apporté une écoute particulière. Je l’ai adressé au centre de Ressources à La Fée pour qu’il soit aidé dans ses démarches…

Heureusement que dans les horreurs qu’il y a autour de monde, dans le monde entier, on peut avoir un peu d’espoir, que la France est le pays des droits de l’homme et qu’elle est une terre d’asile. Mr A. a tout perdu, est seul, a risqué sa vie au nom de la liberté mais il va avoir une deuxième chance, de reconstruire sa vie, de travailler, de retrouver des amis, de retomber amoureux…

Ou pas…

La demande d’asile a été refusée…les quotas…son dossier importait peu…

Mr A. n’a pas de travail, n’a pas d’argent, il ne connait personne, n’a aucunes perspectives. Il ne peut pas aller rejoindre ses 2 soeurs et son frère réfugiés en Angleterre.

Mr A. a des migraines, se sent faible. Ses problèmes de santé se multiplient ces temps-ci…

Mr A. est un sans papier!

Ceux dont on se fiche, ceux que l’on veut faire partir, ceux qui nous embêtent, ceux qui prennent le travail et les ressources des français, ceux que l’on oublie à leur triste sort, sans chercher à savoir, qui ils sont, ce qu’ils ont vécu…

Je ne peux rien pour Mr A.

Je suis triste….

Je pense à Mr G. qui essaie de reconstruire sa vie au Mali, qui essaie de monter une pharmacie (d’ailleurs j’en parlerai bientôt, et jvous demanderai ptet même de l’aide)

Ce week-end, heureuse mais fugace bouffée d’oxygène, j’étais à une fête à laquelle les gens étaient tous considérés comme égaux, où les sans-papiers étaient considérés comme égaux.

Ce week-end, sous la pluie, j’ai écouté les larmes aux yeux la compagnie jolie-môme chanter une version on ne peut plus actuelle de cette chanson de Georges Moustaki qui je ne le savais pas allait nous quitter…

Si vous prenez 3 min pour l’écouter, pensez un peu à Mr A., à Mr G.et à tous les autres…

Et à ceux qui luttent pour que les choses changent..un jour…

 


Sans la nommer Jolie Môme Moustaki par sudnanterre

 

(Et puis d’ailleurs ce week-end, j’ai vu aussi Agnès Bihl qui chantait ça dans le même ton!

(oui je suis en train subtilement par petites touches de vous amener à découvrir cette chanteuse)

Et j’ai eu également la chance de voir, en excellente compagnie, cette grande dame chanter notamment cette chanson

 

Voilà, c’était mon ptit moment  je cherche un mur pour pleurer…

12 réflexions au sujet de « Terre d’accueil »

  1. C’est un très beau texte et je dois dire que ça fait plaisir qu’un médecin l’ait écrit. Tu fais partie des praticiens qui m’empêchent de désespérer de notre profession…
    En plus en vous suivant sur twitter j’ai cru comprendre que nous partagions des orientations politiques communes avec ton mari 😉
    Si vous passez près du Lot et Garonne (on sait jamais…) faites un crochet pour passer nous voir 😉
    Bonne continuation

    • je t’ai trouvé sur twitter, on se croisera là-bas déjà et puis peut-être un jour ailleurs.Merci pour l’invitation!! Et le commentaire

  2. Je ne comprends pas, je ne veux même pas comprendre comment un système, une administration occulte le fait qu’un homme soit en danger de mort, n’ait plus un lieu où il puisse se dire « je suis chez moi maintenant » et le fasse devenir une ombre silencieuse et impersonnelle…merci de lui rendre un bout d’humanité et j’espère sincèrement que son horizon s’éclaircira et qu’il pourra regarder autour de lui en disant « Je suis enfin chez moi, ici, dans ce pays qui m’a accueilli »

  3. « Ceux dont on se fiche, ceux que l’on veut faire partir, ceux qui nous embêtent, ceux qui prennent le travail et les ressources des français, ceux que l’on oublie à leur triste sort, sans chercher à savoir, qui ils sont, ce qu’ils ont vécu … »

    En trois lignes, beaucoup est dit. Ils sont des humains, comme vous comme moi, juste plus fragiles et plus abîmés par les malheurs du monde. Il faut les faire connaître, sans relâche. Gratter sous l’étiquette « Sans papiers ». Merci pour ce billet.

    Une remarque : « les quotas », je ne pense pas. L’OFPRA n’applique pas de quota. Pourtant, le taux d’acceptation des demandes de statut de réfugié a basculé : 85% d’acceptation il y a trente ans, 85% de refus aujourd’hui (95% en 1ère instance, incroyable et complètement injustifié). Ce n’est pas le monde qui a changé, pas non plus la proportion de demandes abusives qui aurait explosé, même si elle a augmenté, par effet mécanique du tarissement des autres voies légales de migration. C’est notre regard, nos habitudes, qui ont changé, et l’OFPRA est un peu notre reflet. La couleur de peau des demandeurs aussi. Elle est devenue plus foncée. Chiliens, Polonais ou Cambodgiens il y a trente ans ; Congolais, Syriens, Afghans, Angolais aujourd’hui (je simplifie). Bien plus subtil que des quotas, plus sournois, tout aussi dramatique.

      • Difficile de répondre en peu de mots. Vais essayer.

        1° des raisons viennent de l’ofpra lui-même.

        1a Comme je vs le disais, le profil des demandeurs d’asile a changé, car les lieux d’exode ont changé. Il est plus facile, ds années 80, de se reconnaître dans un Chilien fuyant Pinochet ou un Polonais Jaruzelski, voire un Cambodgien Pol Pot, qu’auj. dans un Congolais fuyant le chaos de certaines régions du Congo-Kinshasa, un Tchétchène, un Mauritanien etc. Les étrangers d’aujourd’hui sont un peu plus étrangers, un peu plus noirs, un peu plus musulmans. Je suis sûr que cela joue. Pas par xénophobie, mais simplement par étrangeté. Plus difficile de se mettre ds sa peau, d’ajouter foi à son récit, pour un officier de l’ofpra.

        1b Nos pays sont passés, en 30-40 ans, d’une immigration jugée utile (30 glorieuses) à une immigration crainte. Alors, le souci de protéger les demandeurs d’asile, tout en détectant tt de même les demandes abusives, passe au second plan. Au premier plan passe : soupçonner, soupçonner, soupçonner. Cet homme, cette femme, me ment peut-être, je ne dois pas laisser passer de l’immigration économique, ce n’est pas le rôle de l’ofpra. Et tout de même, si le mensonge s’avère ne pas en être un, je donne le statut de réfugié, c’est le rôle de l’ofpra. Bref : renversement des perspectives. Triste à dire, par exemple : une histoire trop souvent répétée finit par ne plus être crue. Alors qd 1 malheur survient, les 1ers exilés demandeurs d’asile obtiennent assez svt statut réfugié. Puis les officiers ofpra se lassent : blabla, oui, c’est tjs pareil, un filon a dû se créer, on leur apprend à raconter telle histoire, je ne le crois plus. (Je tiens cela d’1 interview de Jérôme Valluy sur Fce Culture il y a 5-6 ans, avec l’exemple spécifique de la Mauritanie).

        1c La mise en place de la liste des « pays d’origine sûrs » : absurde dans son existence même, absurde dans sa composition. Je vous renvoie pour comprendre de quoi il s’agit à : http://www.maitre-eolas.fr/post/2009/11/14/Forfaiture

        Aujourd’hui, pour ces raisons, l’ofpra est devenu complètement dysfonctionnel. Moins d’1/3 des statuts s’obtiennent auprès de lui, et le reste, après refus OFPRA, auprès de l’instance de recours, la CNDA. Cela signifie que, de façon usuelle, s’est installé pour cette administration un très fort taux de récusation de ses décisions par la juridiction de recours. Pour n’importe quelle administration, cela signifierait que qchose est à revoir, elle s’interrogerait. Mais là, rien.

        2° Un autre type de raisons sont le cadre administratif de la demande d’asile, mis en place par le pouvoir exécutif et législatif depuis 30 ans. L’exemple le plus saillant est la scandaleuse « procédure prioritaire », décidée par les préfets, qui voue à l’échec quasi sûr une demande d’asile auprès de l’OFPRA, et rend l’étranger expulsable avant qu’il ait pu obtenir l’examen de son recours auprès de la CNDA. Hyperefficace. Cette procédure concerne aujourd’hui la proportion absurde de 30% des demandes. Un autre exemple saillant est « Dublin 2 », je vous renvoie par exemple à : http://impasseeldorado.com/2013/04/12/la-cicatrice/#comments et aux commentaires.
        Le but délibéré de ce cadre est, indépendamment de l’attitude de l’ofpra, de rendre le plus difficile possible les demandes d’asile. L’administration, les ministères, sont tétanisés par la crainte de l' »appel d’air ». Ça, je le sais par un membre d’Amnesty qui dialogue avec eux.

        Enfin, si vous voulez avoir une idée de comment tout cela fonctionne dans un cas particulier, je vs invite à lire la longue note « TA, 12 mars, audience n°2 » du blog « Audiences reconduites » auquel je vous ai donné l’accès.

        Tout ceci est mon point de vue, qui est sans doute assez vrai, parce que je m’y intéresse depuis lgtps, mais sans doute partiel et peut-ê un peu biaisé. Pour avoir 1 description plus sûre, plus exhaustive, il faudrait interroger un juriste spécialisé. Je ne suis ni juriste, ni a fortiori spécialisé.

        Et si vous voulez en savoir + que moi, à lire : « Le grand retournement du droit d’asile » par Jérôme Valluy, ancien juge à la CNDA. Livre sur ma to-read list depuis lgtps, mais cette liste est trop longue …

        Bon, au moins, mon insomnie aura servi à qqchose.

      • Esprit d’escalier. J’ajoute un 3° et un 4°.

        3° La CNDA est une juridiction WTF, qui ne respecte aucun standard minimal d’une juridiction équitable. Jamais une juridiction pareille ne serait démocratiquement acceptée si elle concernait des électeurs. Un exemple :
        http://www.le-tigre.net/Une-audience-a-la-Cour-nationale-_126593.html‎
        Par ailleurs, les juges n’ont accès aux dossiers qu’à l’audience, les avocats que très peu avant, manque d’interprètes etc. Il y a eu plusieurs grèves des avocats pour dénoncer tout cela. À part dans certains cas extrêmes (et encore), cette juridiction a un côté loto. Avec, pour le coup, qqchose comme des quotas psychologiques implicites. Pas par nationalités, mais comme proportion de recours à accueillir favorablement (source, encore J. Valluy). Une honte. Il semblerait (info Amnesty au conditionnel) que des choses vont (un peu) changer dans le mode de travail de cette juridiction (énorme : le plus grosse de France en nombre de dossiers traités par an).

        4° l’État s’arrange délibérément, depuis 3-4 ans, pour torpiller l’aide à la rédaction des dossiers ofpra par les demandeurs d’asile. Avec succès. Voir le billet http://impasseeldorado.com/2013/05/24/welcome/ et mon commentaire (je me suis récemment rendu compte que la situation est encore pire que ce que j’y décrivais).

        OUF.

  4. Terriblement tristes ces histoires d’hommes qui ont tout perdu et viennent, pleins d’espoirs, chercher en France la possibilité de se construire une vie nouvelle, mais se heurtent aux quotas, à la bureaucratie, à l’indifférence…

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