Mon médecin, ce héros

J’ai cotoyé des centaines de médecins, j’en ai cotoyé pas mal en tant que patiente, j’en ai cotoyé encore plus en tant que proche de patients, et bien sûr encore plus en tant qu’étudiante puis médecin, stagiaire ou remplaçante. Je pense que de ce fait , mon jugement sur la qualité d’un médecin est assez juste.

J’ai vu ceux qui travaillent sérieusement, ceux qui humainement sont méprisables, ceux à qui je ne confierais pas ma famille (la seule fois où j’ai adressé ma fille aux urgences: j’ai appelé l’interne de garde que je n’avais jamais vu pour être sûre que ce soit lui et pas le chef qui la voit), ceux qui aiment leur métier, ceux qui l’aiment mais qui sans s’en rendre compte ne l’exercent pas correctement, ceux qui n’aiment pas les gens, ceux qui changent la vie de leurs patients, ceux qui ont un égo surdimensionné.

Je l’ai déjà dit, mais je n’ai pas une grande estime pour les médecins en général. J’en ai vu tellement, tellement, qui ne sont non seulement pas à mes yeux des bons médecins mais surtout qui n’ont pas les qualités humaines qu’un médecin doit avoir. Car c’est un métier difficile, et pour moi, être un bon médecin est quelque chose de complexe, qui englobe les compétences médicales et humaines ainsi que la façon d’exercer. Je pense que chez les médecins comme pour le reste de la population, il y a une proportion notable de « cons » (mon frère n’aime pas quand je dis des gros mots, mais appelons un chat un chat), mais c’est plus embêtant que dans certaines professions. Tomber sur un médecin incompétent, désagréable, intolérant a pour certaines personnes des conséquences plus importantes que quand elles tombent sur un libraire ayant les mêmes défauts ( j’aime bien les libraires , j’en ai épousé un). Mais bon, on est tous le « con » de quelqu’un …

Pour la médecine générale, en ce qui me concerne, j’ai vu pas mal de médecins, entre ma vie, mes stages, mes remplacements et j’ai comme tout le monde entendu dire du mal de médecins.

Je ne vais pas rentrer dans le débat entre Martin Winckler et Borée sur les médecins maltraitants, il est facile et dans l’air du temps pour les patients de critiquer leur médecin pour un rien, ces critiques sont parfois injustes et infondées.

Mais quand-même, moi je ne pense pas avoir le jugement facile mais il y a des médecins qui n’en méritent pas le titre.

Sans réfléchir plus de dix secondes, je peux citer :celui que j’ai remplacé qui n’avait pas de dossiers et qui renouvelait les traitements sans voir les gens depuis plus d’un an mais en faisant passer la carte vitale; celui dans ma ville chez qui les femmes attendent des heures pour se voir prescrire un régime à base de coca light et d’advil, celui qui a gardé l’ordonnance de l’enfant fiévreux un samedi soir parce que sa patiente ne s’était pas aperçue qu’il n’y avait plus de chèque dans son chéquier, celui qui m’a prescrit la première fois qu’il me voyait des antidépresseurs alors qu’à 19 ans, je venais le voir en pleurs parce que je m’étais fait plaquer la veille, etc etc c’est sans fin et personne ne peut nier qu’il y en a malheureusement beaucoup des comme ça …

Après, il y a malgré tout et heureusement un grand nombre de médecins qui font correctement leur travail. Parmi ceux-là, j’ai mes petits critères de jugement à moi mais ce ne sont que des critères personnels qui me font dire que certains médecins ne sont pas forcément ce que j’appelle moi un bon médecin: des petites choses comme ne pas écrire dans le carnet de santé des enfants, ne pas être informatisé, recevoir les labos, prescrire des PSA, ne pas être sympathique, ne pas dans l’ensemble respecter les principes dont j’ai parlé précédemment…Après ce sont plein de petites choses mais c’est surtout le contact qui est important…

Donc avec tout ça, quelle est la probabilité de tomber sur un « bon » médecin,cette définition étant à la fois objective et subjective ? Elle est quand-même assez faible je trouve …

Et bien, moi, sans exagération aucune, j’ai le meilleur médecin généraliste du monde!

Un jour, à l’âge de 15 ans, j’avais une angine et ma mère a appelé le médecin de garde ( oui c’était une autre époque), il est devenu notre médecin et avec du recul, je me dis que j’ai eu une chance extraordinaire d’avoir eu cette angine.

Parce que je m’en rends compte seulement maintenant mais non seulement il est un médecin généraliste inestimable mais en plus il a été mon maitre de stage et a probablement jouer un grand rôle dans le médecin que je suis et que je deviendrai.

Donc, mon médecin à moi: il est compétent, il est rigoureux, il a établi des règles et faut pas imaginer se pointer sans carnet de santé ou à 19 heures pour un renouvellement de traitement, il est très sympathique ou parfois très désagréable quand il faut, il aime son travail et le fait bien, il est maitre de stage, a des externes et des internes et il a la meilleure note de toute la fac même s’il habite dans le 93, il est drôle, il parle aux enfants comme si c’était des adultes , il est heureux  et en plus il est beau !

Si je devais, je pourrais lui trouver des défauts: il n’est vraiment pas aimable quand il répond au téléphone, il n’avait même pas internet quand je bossais chez lui mais cela n’est plus le cas, euh … ah oui il ne fait même pas de streptotests pour les angines … mais bon, personne n’est parfait!

En D2, j’étais déjà attirée par la médecine générale, mais je ne savais pas ce que c’était, je lui ai demandé si je pouvais assister à sa consultation. Ce fut vraiment une confirmation de ce que je sentais : la médecine générale est vraiment ce qui me plaisait. Mais à la réflexion, je me dis que c’est peut-être l’image qu’il m’a donné de la médecine générale qui m’a fait choisir sans douter cette spécialité .

Ensuite, il est devenu maître de stage (j’aime à penser que c’est un peu grâce à moi) et j’ai fait une partie de mon stage d’interne chez lui. Outre le fait que j’y ai passé des supers moments, que j’ai appris pleins de choses, que c’était très formateur, que sa patientèle était très agréable, et que je me suis, il faut le dire bien amusée…je me rends compte maintenant que ce stage a inconsciemment formaté le médecin que je suis aujourd’hui. En fait, il est ma référence et mon modèle, et même si je ne lui ressemble pas du tout et que bien des compétences me manquent par rapport à lui, j’essaie d’exercer la médecine qu’il m’a apprise, que j’ai aimée. Et je pense qu’un des points les plus importants que j’ai pu ressentir avec lui : c’est qu’il est un médecin heureux !

Bref, je ne serais probablement pas tout à fait le médecin que je suis sans lui …

Mais au-delà de ça, la chose la plus importante, c’est que j’ai la chance de l’avoir comme médecin traitant .

Beaucoup ont été surpris quand j’ai dit l’autre jour que j’emmenais ma fille chez le médecin.

Mais je pense que même un médecin doit avoir un médecin, pour lui et pour sa famille, c’est plus sain je trouve et surtout quand on a la chance d’en avoir un très bien.

Il y a quelques années, j’ai eu quelques petits soucis de santé et au lieu de  faire trop d’auto-médication , de m’auto-prescrire des examens, je suis allée régulièrement le voir, et même si j’arrivais avec mes petites idées en tête, je m’en suis remise totalement à lui et cela est très important , même en temps que médecin,encore plus en tant que médecin même,de s’en remettre à quelqu’un en qui on a toute confiance. Je mettrais ma vie ou celle de ma famille entre ses mains sans problème, c’est ça un bon médecin …

En plus, il y a ce phénomène assez remarquable, qu’en dépit du fait que j’ai été son étudiante, sa remplaçante, qu’il ait été mon maître de stage, mon jury de thèse, le médecin d’autres membres de ma famille et que (peut-être que je m’avance), nous sommes en quelque sorte peut-être des amis aussi , quand je viens pour moi, je m’assois naturellement du bon côté du bureau  et  je suis la patiente et il est le médecin sans que rien ne vienne interférer dans la relation thérapeutique.

Certes pour des raisons pratiques et logiques, je n’emmène pas ma fille quand elle a une rhino ou une angine, ce qui lui arrive très rarement en plus, je la soigne dans ces cas-là, mais pour le suivi, les vaccins ou toute autre chose, je l’emmène voir P. Docteur, comme elle dit …

En plus, comme je l’ai dit, il est super, et le voir mener une consultation avec ma fille est  un vrai exemple pour moi .

Je l’ai emmené une fois l’année dernière et une fois la semaine dernière parce qu’elle était dans une période insupportable ou j’avais envie de la jeter par la fenêtre, n’écoutait rien, faisait des crises de colère interminables, lançait des trucs, tapait etc …Une consultation et depuis elle est transformée, bon peut-être que d’autres choses entrent en jeu, j’ai moi-même changer un peu de comportement, mais cette consultation était impressionnante…

Je suis sortie en me disant : «Je veux être comme ça quand je serai grande »

Des fois, j’essaie de faire «mon P. », avec les enfants : la dernière fois, le petit n’a jamais voulu me parler et m’a tourné le dos en souriant toute la consult …bon je me dis que j’y arriverai un jour …Il y a quinze jours, j’ai essayé aussi avec un petit de 5 ans qui vomissait et qui pleurait tous les matins pour aller à l’école, je lui ai parlé, lui n’a absolument rien dit. Je l’ai revu hier : je demande des nouvelles et la maman me dit que depuis notre consultation ,il n’y a plus eu aucun problème…

Alors, je garde un peu d’espoir…

De lui ressembler un jour …

Peut-être un jour, quand je serai grande et vieille comme lui, mes patients diront : «mon médecin, c’est la meilleure … » Parce que quand ce n’est pas dit à la légère, c’est quand même un des plus beaux compliments qu’on puisse faire …

Et patients, ne désespérez pas, les bons médecins sont peut-être rares, mais ils existent (cachés dans le fond du 93)!

Bon, ça m’embête bien un peu qu’il lise cette floppée de compliments, mais avec un peu de chance, il ne se reconnaitra pas ( bon avec  beau, drôle et désagréable au téléphone, tout le monde va le reconnaître) . Dans le cas contraire, tant pis, il sait déjà je pense tout le bien que je pense de lui, tout ce qu’il m’a apporté et ce n’est qu’une occasion de plus de le remercier…

De le remercier d’être mon médecin, le meilleur, de tout ce qu’il m’a apporté mais surtout d’être la preuve pour moi et pour tout le monde qu’un bon médecin, ça existe …et ça, pour moi c’est quelque chose ….

 

18 réflexions au sujet de « Mon médecin, ce héros »

  1. Je n’ai pas comme toi de « modèle », j’ai un mentor dont j’admire la rigueur scientifique, et l’engagement sans faille plein d’humanité auprès des patients mais j’ai pris un autre modèle pour l’efficacité et l’organisation…
    J’ai pas trouvé de médecin parfait pour moi (et je suis mon propre médecin traitant ce qui est mal, très mal…), mais je tiens le pédiatre parfait pour mes enfants (et pour leur mère anxieuse),et je viens de réaliser qu’il est dans le 93!

  2. Joli texte, il y aurait beaucoup à dire sur la sélection, le contrôle d’activité, l’EPU, etc…

    Pour moi en tant que patient je souhaite d’abord et toujours et surtout la compétence.

    Ethiquement la compétence est la première chose que l’on doit aux patients.
    Peu m’importe que celui qui m’opère ait un caractère d’ours du moment qu’il opère bien. Parmi les médecins, les plus dangereux restent ceux qui sont sympa et incompétents…

    Bonne continuation et tu verras, on fini toujours par avoir une patientèle qui nous ressemble, donc je crois que tu vas dans la bonne direction…

  3. Tu as de la chance et il a de la chance de t’avoir comme patiente aussi!
    Le problème qd on est médecin c’est que c’est encore plus difficile de trouver un bon médecin!
    On a l’oeil critique!
    Et surtout, qd bien même on trouverait un bon médecin, nous sommes souvent d’atroces patients (ou parent de patient) ce qui peut effrayer le meilleur des médecins!
    Dur!
    Donc vraiment vous avez de la chance de vous être trouvés!

  4. oui, les bons médecins sont rares, et c’est dur de déménager du coup…
    Mon père est médecin et (bouh, pas bien) il a été mon médecin traitant jusqu’à mes 20 ans où j’ai eu le courage de lui demander l’adresse d’un collègue parce que je voulais un vrai médecin (je croyais le vexer, il a été soulagé… quel temps on perd à faire gaffe !)…
    Le médecin qu’il m’a conseillé était (comme lui) homéopathe. Excellente. Elle savait que les petites granules, je ne suis pas forcément hyper dedans, mais j’aime le principe de préférer une bonne hygiène de vie à une flopée de médocs.
    J’ai dû la quitter quand je suis partie à 300km pour l’internat. ça fait un an et je n’ai toujours pas trouvé mon médecin.
    Je suis allée en voir 2 l’an dernier, j’étais vraiment pas bien, les 2 pour la même chose. Aucun des 2 ne m’ayant demandé mes antécédents, je ne les reverrai plus. C’est mon critère incontournable chez un médecin généraliste qui voit pour la première fois un patient qui n’a pas 2 jours… Le deuxième incontournable, si j’en trouve un qui me demande mes antécédents, ce sera le test du certificat médical… S’il m’examine pas, retour à la case départ, même si je suis jeune et (apparemment) en bonne santé, et que je n’ai aucun antécédent.

  5. Ping : Mon médecin, ce héros | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis | Jeunes Médecins et Médecine Générale | Scoop.it

  6. Le meilleur médecin que j’ai jamais connu, c’était mon oncle, il s’est tué dans un accident de moto il y a six mois. Tu aurais dû voir la foule de gens réellement attristée venue à son enterrement… La famille évidemment, mais aussi ses collègue qui n’ont cessé de vanter ses qualités humaines ainsi que ses compétences médicales, sa capacité à transmettre son savoir aux étudiants. Dans les mois qui ont suivis son décès ma tante a reçu des lettres et des lettres de patients qui louaient leur médecin, qui parlaient de lui, de ce qu’il leur avait apporté humainement. Il aimait son métier, il était gai comme un pinson et bon vivant. Il accompagnait les gens dans la vie comme la mort. Il avait commencé généraliste puis il a eu l’ambition de devenir interniste ce qu’il avait réussi avec succès. Depuis six mois nous, sa famille, mais aussi ses collègues et patients, vivons un assourdissant silence. Je me révolte qu’un tel homme soit parti si brutalement alors que comme vous le dites certains ne méritent pas leur titre de médecin. Car il était un bon médecin…. un vrai bon médecin

  7. Je n’ai pas eu la chance d’avoir un mentor comme toi, et je dois dire que j’essaie de ne surtout pas ressembler à mon maître de stage car, même s’il était très gentil, n’avait aucun dossier par exemple.

    Je tente de ressembler à ce que tu décris (sauf que je fais des streptotests et que je prescris des PSA), je demande systématiquement les ATCD aux nouveaux patients, je pèse et mesure systématiquement les enfants et grimace si je n’ai pas le carnet de santé, je refuse tout certificat sans examen préalable, je refuse les arrêts de complaisance, et surtout quand je ne sais pas je le dis !

    Là j’ai bien envie de taper ma gueulante contre un confrère qui a bousillé l’allaitement d’une de mes patientes qui l’a appelé en garde dimanche car sa petite de 6 semaines pleurait. Il lui a dit que son lait n’était pas bon et qu’elle devait stopper l’allaitement ! Croyant parfaitement ce que ce monsieur disait, elle a tiré son lait pour désengorger ses seins mais l’a JETÉ puisqu’il était mauvais d’après lui!
    Sans compter que, dans ce même cabinet, un autre confrère avait dit à une maman pour laquelle j’avais traité la pneumopathie de son enfant sans FDR par Amoxicilline 100mg/kg/j, « elle ne vous a donné que ça? elle aurait pu vous donner plus quand même! », et qu’il y a 2 semaines un bébé est mort car un autre de ces confrères avait refusé de revoir un enfant pour une bronchiolite alors que la maman avait rappelé en disant qu’il n’allait pas bien et sifflait vraiment beaucoup.

    Là je crois que lundi je vais lui faire envoyer le « guide de l’allaitement maternel ».

    Sinon moi aussi je surprends les gens si je dis que j’ai une pédiatre pour les examens systématiques, même si effectivement je gère maintenant les rhino et otites, mais d’abord j’aime être leur maman et pas leur médecin, et je n’ai pas toujours le recul nécessaire. Malheureusement mon mari a arrêté d’aller voir une consoeur, et je suis bien obligée de le soigner par moment (j’ai adoré sa colique néphrétique !).

    Bref, je me retrouve un peu en toi, je bosse à 100-150 km de toi, dans un secteur toutefois différent, semi-urbain.

  8. Ping : Mon externe | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

  9. Ping : L’homme qui murmurait à l’oreille des enfants | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

  10. Ping : Jusqu’ici tout va bien | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

  11. Ping : Ces médecins que l’on aime | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

  12. c’est un véritable hommage à ce medecin fabuleux selon tes termes que tu as écris là, j’aurais aimé avoir le même y compris comme maitre de stage même si les miens etaient de bon maitres de stage aussi mais j’ai pas ressenti cette fascination!

Répondre à Marie Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *