Les jours se suivent et se ressemblent.
Ce n’est pas la même C. , elle n’est pas dans le même collège , c’est dommage elles auraient pu être amies . Elle a 13 ans , est d’origine portugaise et elle a les mêmes yeux tristes.
C’est peut-être grâce à la C. d’ hier que j’ai pu mener cette consultation comme il faut.
Elle est venue pour mal de ventre, nausées, depuis cette semaine elle n’est pas bien, elle n’a pas été à l’école aujourd’hui car elle était trop fatiguée. Vu le nombre de gastro que j’ai vu aujourd’hui, il eût été facile, tentant voire légitime de diagnostiquer une virose et voilà, peut -être même de pousser l’erreur devant l’insistance maternelle jusqu’à aller jusqu’à un bilan sanguin si les symptômes persistaient.
Mais aujourd’hui, je ne sais ce qui m’a intrigué, quelque chose de non palpable dans sa façon de répondre « bien » à la question « comment s’est passée la rentrée? » Merci au mois de septembre et à sa traditionnelle question . Parce que finalement , ça ne va pas bien du tout au collège … impression de déjà vu , même discussion qu’hier en pire, elle est à priori la cible d’un groupe de filles , déjà l’année dernière ça a été très difficile. Sa mère a fait des pieds et des mains pour la mettre dans le privé, mais les listes d’attente sont telles qu’il fallait s’y prendre en novembre de l’année d’avant. Et depuis la rentrée, C. est déçue parce qu’elle se rend compte que ça recommence. Ce matin, C. était trop fatiguée pour aller à l’école et elle a un « noeud dans le ventre » qui l’empêche de manger.
C’était une consultation difficile, je me suis trouvée encore une fois désarmée, et un peu inutile mais quelque part une consultation un peu satisfaisante. Pour une fois j’ai osé, j’ai osé dire, il n’y a rien de médical, j’ai osé dire que le noeud dans le ventre, c’est que ça ne va pas à l’école. Quand on a connu ce noeud dans le ventre, on sait, on sait tout ce que l’angoisse peut faire, et la maman de C. elle aussi, elle a connu le noeud dans le ventre. Elle a un peu lutté contre l’idée et dit que oui c’est vrai mais que quand-même l’année dernière, ça n’allait pas mais elle continuait à manger mais au fond elle a bien compris et n’a pas réclamé la prise de sang. C. n’a pas démenti, ses larmes qui coulaient ont gentiment confirmé mon diagnostic.
Vous allez me dire qu’il n’y a rien de glorieux, que c’était évident, que encore heureux je ne lui ai pas prescrit de prise de sang , que je n’ai fait que mon travail, oui en fait c’est moi qui me dit ça, et c’est vrai, pour une fois j’ai fait mon travail et j’avoue que ce n’est pas toujours le cas car des fois quand-même c’est un travail difficile.
Combien de personnes consultent pour des problèmes somatiques alors que le problème est ailleurs?
Il y a ceux qui n’en ont pas conscience et le médecin non plus, comme ça tout le monde est content, on soigne la lombalgie ou les migraines et on ne va pas plus loin.
Il y a peut-être ceux qui savent au fond d’eux que ça ne va pas mais qui ne se permettraient jamais de le dire, ils consultent pour un bon problème somatique, essayent de tendre des perches mais le médecin, moi peut-être, n’est pas réceptif, ne creuse pas ou ne se rend pas compte. J’aurais vraiment pu passer à côté pour C. même si elle, elle savait, pas tout à fait mais au fond elle savait.
Il y a ceux où on sent bien que le problème est ailleurs, qui multiplient les consultations, pour des problèmes toujours un peu difficiles, des vertiges, une fatigue, un mal de ventre, mais qui disent toujours que tout va bien. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à savoir comment m’y prendre, au bout d’un moment, j’essaye quand-même: je leur dis « et le moral ça va? » (vous noterez la subtilité) et dès fois j’essaye encore plus, je dis que des fois quand le moral ne va pas c’est le corps qui parle (vous noterez la profondeur) et dès fois j’essaye vraiment fort mais ça ne marche pas. Il doit y avoir peut-être une façon de faire que je ne connais pas , on a très peu été formé pour ça, il faut se débrouiller comme on peut. Et je pense que de toute façon quand on tend la perche, et que la personne n’est pas réceptive, c’est qu’elle n’est pas prête. Et c’est dur, en tout cas moi je trouve ça dur de dire, d’affirmer que le problème n’est pas là où les gens veulent qu’il soit .Alors dès fois, souvent, qu’on en ait conscience ou pas, on est mauvais. J’ai lu tout à l’heure un dossier où j’avais écrit « je pense que c’est le moral mais je prescris un bilan » …
Et dès fois le masque tombe, ces personnes que l’on a vu pour de multiples motifs de consultations mais qui disent toujours qu’elles vont bien, un jour elle dise ça va pas. Et là ça fait un drôle d’effet …J’aime à penser que peut-être, je dis bien peut-être c’est parce que une ou deux fois je leur ai lancé une de mes phrases profondes et subtiles, peut-être étaient-elles simplement prêtes. Ces cas là nous rappellent que l’être humain est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait et que mêmes les patients qui semblent aller très bien ou ceux qui ont des conduites étranges portent en fait de lourds fardeaux …
Il y a trois jours , Melle D. 30 ans est arrivée en pleurant dans mon cabinet, elle a complètement changer de visage. Elle et sa famille, une famille haute en couleur,un vrai roman, sont suivies depuis toujours dans le cabinet. Elle a toujours l’air joyeux , je la vois souvent pour son fils qu’elle élève seule ou pour elle qui a quelques problèmes de santé et surtout qui est enceinte presqu’une fois par an. Combien de fois j’ai pesté contre elle, à chaque nouvel IVG ou chaque mois quand elle ne vient pas au RDV pour poser son stérilet. Je ne comprends pas une telle insouciance, en plus elle a un côté sympathique qui fait qu’on ne peut pas la détester, ce qui serait plus simple. Les dernières fois que je l’ai vu, je sentais bien que ça n’allait, et entre les dosages de fer, de thyroide (oui je fais trop de bilans pour rien enfin elle, elle a quand-même une hyperthyroidie de Basedow) et le traditionnel mensuel test de grossesse (négatif ouf), je lui ai lancé quelques perches. Et un matin à 9 heures, elle arrive en pleurs en disant « Là ça va pas du tout, il faut que je fasse un bilan » Je trouve cette phrase très intéressante, c’était sa dernière défense …Et après, elle m’a tout raconté: sa vie, l’angoisse et le noeud dans le ventre le matin au réveil. Ce n’était pas la même personne. Cela laisse à réflechir sur les gens qui nous entourent et qui souffrent en silence. Ce matin, elle est revenue. En la voyant, je me suis dit, elle fait comme je lui ai dit, elle revient me parler, parce que je suis un bon docteur et qu’elle s’est sentie à l’aise, oui mais non, elle revenait pour une rhinopharyngite (et un retard de règles …), elle n’a pas pris mes médicaments, et elle m’a dit qu’elle allait beaucoup mieux. Je pense que ses défenses sont revenues, qu’elle ne peut pas se permettre de se laisser aller tout le temps. Je pense aussi que vider son sac lui a fait du bien et qu’elle sait qu’elle peut revenir me parler et que pour l’instant ça lui suffit . Et à chaque fois, je lui lancerai subtilement un » Et le moral? »
Cela nous amène à la dernière catégorie de personnes, celle pour qui on a établi que ça n’allait pas bien, pour qui on a osé dire que c’était le moral le problème. Et après? Parce que ça non plus, on ne nous a pas appris. Oui il faut détecter le risque suicidaire, certes mais une fois qu’on a demandé (plus ou moins subtilement) à la personne si elle avait envie de mourir et que non heureusement, qu’on a éliminé ou pas un véritable syndrôme dépressif, quand on a passé l’étape du diagnostic et qu’il n’y a rien de pathologique mais seulement une souffrance façe aux problèmes de la vie, souffrance souvent bien légitime, parce que quand-même la vie elle n’est pas facile pour tout le monde, mais pour certains elle est vraiment très dure , qu’est ce qu’on dit? On se débrouille, on dit ce qu’on croit être sage, on se sert de sa propre expérience (ce qui est hyperpratique à 30 ans) sans non plus tomber de l’écueil de parler de soi, on écoute , on fait pour le mieux. Mais quand-même cette partie majeure de notre travail, c’est du « free style » et j’espère que je ne m’en sors pas trop mal.
En tout cas, comme souvent, pour C., je me suis sentie vraiment désarmée.Je pense que cette consultation leur a fait du bien quand-même du certaine façon mais quand elles sont parties je leur ai dit un truc du genre « Désolée, si ça avait été une gastro, j’aurai pu te soigner plus facilement ». Ca l’a fait sourire, c’est déjà ça mais c’est vrai, une gastro ça aurait été quand-même plus facile …
Ton billet est magnifique, plein d’humanité.
Et il fait aussi réfléchir la patiente que je suis qui parfois voudrait bien que son médecin soit moins « impuissant » quand je lui dis, avec si peu de mots (le pauvre) et souvent en minimisant, que non ça va pas fort, que oui c toujours pour la même raison : le passé…
Et je peste quand j’ai droit à un énième « vous suivez toujours votre thérapie ? » mais après tout il a peut-être raison, il préfère que je sois entre les mains de ma psy, parce qu’effectivement faire face à ça il n’a pas appris…et c’est honorable de dire qu’on ne sait pas.
Merci à toi.
Je me retrouve dans C. A 13 ans, j’ai redoublé ma 5ème, je n’avais plus d’amis, rejetée par les dernières copines que j’avais eut, j’étais mal dans ma peau, on se moquait beaucoup de moi pour diverses raison… bref pas mal de raisons pour que ça n’aille pas. Au bout d’une semaine de nouvelle 5ème, j’ai commencé à me sentir mal, nausée, plus d’appétit… Du coup pendant 3 semaines je n’ai plus été à l’école car ça n’allait pas physiquement. J’ai perdu à ce moment au moins 5 kg, en sachant que j’étais déjà maigre à la base. J’ai subi des examens divers & variés avec finalement comme conclusion : surement un petit virus chopé pendant les vacances. Je suis finalement retourné à l’école, même si je me sentais pas encore en forme. Heureusement je me fuis fait de nouvelles amies. Cela m’a aidé à aller un peu mieux.
Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai compris que je n’ai surement jamais eut un quelconque virus, mais juste mon mal être de ce moment la (dépression?) qui s’est exprimé à travers mon corps. Et jamais qui que ce soit y à penser, de toute façon personne ne savait ce que je vivais à l’école. Même moi je n’ai pas perçu que c’était cela…
Moi je lui prescrirais un film: « Oui, mais » avec Gérard Jugnot et Émilie Dequenne
Le film montre une jeune fille comme les autres, avec ses difficultés familiales, amoureuses qui se sent étouffée par son entourage et n’arrive pas à prendre sa place. Elle entreprend un peu par hasard une psychothérapie et apprend un certain nombre de choses, notamment qu’elle ne peut pas changer les autres mais changer la façon dont elle interagit avec les autres. Le psy, très sympathique explique aussi un certain nombre de comportements dont le « oui, mais » qui déjà quand ils sont identifié permettent de casser le cercle infernal.
J’ai déjà recommandé ce film à plusieurs personnes en difficulté et même si ça n’a pas été miraculeux, ça leur a fait beaucoup de bien.
Le deuxième effet kiss cool, c’est qu’il démystifie la psychothérapie et pourrait amener quelqu’un à accepter l’idée de demander de l’aide à un professionnel. Reste à vous, médecin généraliste, d’en connaître un bon dans le coin…
Je souscris totalement à la prescription de ce film. Docteurs, vous devriez en acheter une dizaine et les prêter à ceux à qui vous ne savez pas trop comment vous y prendre avec la gestion par vos patients des problèmes du quotidien. 15€ à la FNAC par exemple.
Se rapprocher d’un psy(chiatre/chologue/etc. d’ailleurs un psychiatre aussi « chologue », c’est bien, c’est remboursé), ou de plusieurs, et avoir de vraies discussion avec, etc. c’est peut-être pas plus mal non plus… Le médecin généraliste, on lui pose beaucoup de questions, et moi à chaque fois qu’il me fait une lettre de blablasécu, je lui demande « vous en connaissez un bon ? », sous-entendu « un avec qui vous travaillez et en qui vous avez un minimum confiance ».
Après, je sais pas si c’est autorisé, si c’est profitable au patient dans la vraie vie, etc. Mais il me semble que la formation d’espèces de « groupe de travail » regroupant plusieurs spécialités (une sorte de version de la « médecine interne » de l’hôpital mais version libérale) n’est pas dénuée d’intérêt.
Et puis, « je vous donne le contact d’un/plusieurs psy avec qui j’ai l’habitude de travailler », ça sonne un peu comme une ordonnance. Et le psy en question bénéficie d’un morceau de la confiance que le patient a en son généraliste (le boomerang existe aussi, si le psy est mauvais, le généraliste en prend pour son grade), ce qui facilite très légèrement le travail mais peut faire la différence dans les cas délicats.
Enfin, c’est qu’un avis de béotien hein… Je sais pas comment vous vous organisez derrière votre bureau…
Merci pour ce billet très intéressant !
Juste une petite question : N’est-il pas préférable de laisser les patients faire le lien entre le moral et le somatique ? Les guider, certes, mais les laisser prendre conscience eux-même de ce lien. Le dire directement de vive voix est quelque chose qui peut être très violent pour eux. Car, la plainte somatique sans substratum organique est ce qui prend toute la place. Elle existe justement pour cacher ce lien.
Mais je pense que vous vous en sortez très bien !
Et sinon, dès que la question est envisageable, orienter vers psychiatre ou psychologue 😉
Ca fait un moment que je suis votre blog/twitter et je me retrouve pas mal dans tout ça. Je suis pas médecin mais étudiante en travail social et finalement je me rends compte qu’il y a pas mal de choses en commun.
J’ai pu remarquer comme il est difficile lorsque les personnes viennent pour un problème concret (dans mon cas des problèmes financiers, de logement, etc.) mais qu’au fond le vrai problème est autre et bien plus profond.
Comme vous, je trouve que dans notre école nous sommes assez mal formés à réagir face à ça. Je crois que le mieux est de ne pas « jouer les psy » et laisser le temps aux personnes de parler au fur et à mesure que la confiance s’installe.
Effectivement, on ne peut que tendre des perches, on ne peut pas obliger les gens à les saisir… Moi aussi je demande très souvent « et le moral ça va ? » et je vois si ça mord…
Et de temps en temps ça ressort dans une autre consultation « finalement, effectivement y’a bien quelques soucis… » J’ai appris à comprendre que les fatigues, les vertiges, les céphalées, des fois c’est ça.
Mais il faut le reconnaître, des fois nos soucis personnels ou professionnels, les urgences de la journées, le retard des consultations… font qu’il est bien plus simple de dire, « c’est sûrement une gastro »…
Après j’avoue que je suis parfois dépassée, parce qu’autant je peux écouter et comprendre le malaise, mais qu’est-ce que je fais sur le fait qu’il n’a pas de boulot, que son mari ne veut plus la toucher et qu’il est parti se chercher une autre femme au pays, ou que ses gamins se droguent ?
J’ai réussi à faire sortir les mots, mais les solutions que je peux apporter sont bien maigres.
a te lire je retrouve mes doutes du debut il y 30ans ne t inquietes pas ils sont toujours la
si je pouvais je te prendrais comme medecin traitant
un generaliste du 9 cube
Dans mon experience c’est plutot l’exces inverse, quand on ne trouve pas de raison ou que les symptomes ne rentrent pas dans les cases, c’est tout de suite psychosomatique.
Genre:
– Mlle vous avez des evanouissements et des migraines? Faites voir, yeux, oreilles, equilibre, glucose… Non, vous allez bien.
– Mais je tombe dans les pommes…?
– Non, vous n’avez rien.
– Ah. Merci. Voila 60 euros.
Genre:
-Mme vous etes tout a coup epuisee sans raison et ca ne passe pas. Ah tiens vos hormones sont desequilibrees et ca correspond a un syndrome defini exactement comme ca.
– Chic.
– Ah non finalement le taux n’est pas suffisant pour que ca corresponde bien. C’est dans la tete.
-Zut. Merci. Voila 23 euros.
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