Remerciements…

« Et enfin, à ma mère, pour l’amour immense dont elle m’a toujours entourée et qui m’a permis de m’épanouir et de devenir ce que je suis. Source inépuisable d’apprentissage au quotidien, les moments difficiles passés ensemble de l’autre côté de la barrière ont sans aucun doute contribué à faire de moi un meilleur médecin.Son courage est pour moi une leçon de vie.  »

Voilà comment je concluais les remerciements de ma thèse il y a quelques années.

Aujourd’hui, cela fait 2 ans que ma mère n’est plus là. Je me surprends parfois à prendre du recul, me regarder et me dire « mince jsuis une adulte, je n’ai plus de maman, je suis moi-même maman, je suis médecin » Ca me fait un drôle d’effet. Ma mère me manque chaque jour de ma vie, mais à chaque consultation, je sais que je suis le médecin que je suis grâce à elle.

Etrangement, sa maladie, n’a, je pense, pas été la raison de mon envie de faire médecine, mais par contre elle a façonné le médecin que je suis.

Déjà, j’ai appris la médecine en la regardant. Elle avait toutes les maladies du monde, mieux qu’une encyclopédie de médecine. Et puis, vivre la maladie est la façon la plus efficace de savoir de quoi on parle .

Grâce à ma mère, je connais la forme et la couleur de la plupart des médicaments et c’est hyper pratique (l’actiskenan rouge? ah oui le 10mg quoi!) , je sais reconnaitre les premiers signes d’hypercapnie, je connais plein de choses sur les pansements et pourrais presque être stomathérapeute, je connais des maladies rares que je ne reverrai jamais (à part peut-être sur moi), je connais aussi des maladies fréquentes et ça c’est plus utile, je sais gérer l’oxygène, les aérosols et la VNI au domicile, je sais tout ce qu’il faut savoir sur les aides à domicile, les structures, les modalités, je connais des trucs administratifs que peu de médecins connaissent je pense, la MDPH est mon amie, la CRAMIF aussi.Je connais les effets indésirables de pas mal de médicaments, le gout du pain sans sel aussi. Je sais dans quelle pharmacie envoyer mes patients pour trouver les nicorettes les moins chers ou pour louer un fauteuil roulant,je connais absolument tout de l’hôpital d’à côté où elle a fait à peu près tous les services, et je les connais de manière différente que pour y avoir travaillé, et puis plein d’autres hôpitaux aussi (Pour aller à la fondation rotschild,prenez le bus 26 à gare du nord me suis-je entendu dire la semaine dernière), je sais à qui j’adresse mes patients et je sais ce qu’ils y vivent.

Et c’est surtout ça…grâce à ma mère, je connais plein de choses médicales et pratiques qui m’aident beaucoup, un peu comme si j’avais pris des cours du soir en plus (des cours du soir intensifs, de nuit et de week ends aussi :- ) , mais ce n’est pas ça qui fait de moi le médecin que je suis.

Je sais tellement d’autres choses aussi…Je sais combien de temps le SAMU met pour venir, et je sais même les raccourcis pour aller plus vite que lui, je sais ce que c’est la peur, l’angoisse, le désespoir, je sais ce qu’est que de vivre au jour le jour, et de vivre jour après jour avec la maladie, la douleur. Vivre des choses que personne ne sait, ni ne peut même imaginer. Je sais la dépression, je sais ce qu’on ressent quand on signe un ordre de ne pas réanimer. Je sais l’enfer…

Je sais aussi le courage, l’envie de vivre, l’espoir, l’entraide, le soutien, le plaisir des choses simples, le bonheur d’un rien, le pouvoir d’un rire, je sais l’amour…l’amour par dessus tout…

Ce que je sais trop bien malheureusement, ce sont les médecins et les soignants.

Je suis un bisounours et trouve toujours des circonstances atténuantes aux gens mais je pourrais écrire un livre entier sur ce que nous avons vécu, le parcours du combattant, le dysfonctionnement de tout. J’ai vu tellement de médecins, de soignants, été dans tellement d’hôpitaux, de services, je pourrais citer des centaines de situations horribles, choquantes, de soignants maltraitants, d’incompétence, de mise en danger. Je sais la iatrogénie et que nous aurions pu gagner plusieurs procès. Je sais qu’il y a eu des gens merveilleux mais tellement peu. Je sais aussi que la complexité de la pathologie et du caractère de ma mère a cristallisé tout ce dysfonctionnement.  Mais quand-même. Je sais la lutte permanente et l’abandon de l’espoir d’obtenir une quelconque aide de quelqu’un, du corps médical. Je sais la solitude et l’abandon. Je sais que les médecins que je respecte parmi tous ceux que j’ai rencontré se comptent sur les doigts d’une main (et je tiens à remercier MonMédecinCeHéros pour avoir été un de ceux-là) et que je me suis jurée quand j’ai eu mon concours de ne jamais oublier… Je sais que nous avons lutté seuls et que je ne dois jamais oublier.

Je me suis jurée de ne pas être ces médecins que j’ai détesté, que même si je n’étais pas la meilleure et la plus compétente, je serai toujours humaine, à l’écoute et que je prendrai toujours le temps qu’il faudrait, que j’essaierai d’aider au maximum les patients dans une prise en charge globale, qu’ils n’aient pas à se débrouiller seuls, qu’ils ne se sentent pas abandonnés.

Je pense que la base de tout ça c’est l’empathie. L’empathie, c’est la base de la relation médecin-malade, la capacité de se mettre à la place de l’autre. Il n’est pas nécessaire d’avoir vécu ce que l’autre vit pour ressentir de l’empathie, au contraire on risque de basculer dans la sympathie, mais quand-même…

Quand on a passé des heures aux urgences, quand on a passé des jours et des nuits entières à l’hôpital, quand on s’est occupé d’un malade au domicile, quand on a assisté au dernier souffle de quelqu’un, ben quand-même, je pense qu’on voit les choses un peu différemment et que ça aide pour l’empathie.

Et puis surtout, avoir eu une mère chiantissime qui était la pire des patientes du monde, ça aide à être emphatique avec les patients pénibles ou non observants.

J’ai tellement essayé de comprendre ce qu’il pouvait y avoir dans sa tête pour expliquer ses mauvaises décisions et comportements pas toujours très aimables dirons-nous que je sais la complexité de l’être humain, en particulier face à la maladie.

Le patient qui se pointe un jour férié aux urgences pour un problème qui dure depuis des semaines, le patient qui ne prend pas un médicament qu’on lui a prescrit, le patient qui attend d’être dans le coma pour quitter sa maison, le patient qui refuse les gazs du sang en réa pour décompensation respiratoire et qui descend fumer en bas, celui qui n’arrêtera de fumer que quand il aura de l’oxygène à domicile, celui qui ne met pas sa VNI, celui qui insulte le personnel, même celui qui les insulte très fort, et puis ses proches aussi, celui qui s’en prend à ceux qui l’aident, celui qui fait le tour des médecins et des pharmacies pour avoir sa dose d’anxiolytiques, tous ces patients j’ai presque une tendresse particulière pour eux. Je cherche à comprendre ce qu’il y a derrière, et je sais que l’être humain est complexe et que derrière se cache peut-être une personne qui vaut la peine que l’on aille voir au delà.

Du coup, c’est pour ça que je suis un bisounours et que j’aime tout le monde, parce que je pense à ma mère qui était tellement compliquée comme patiente (et comme personne) et pourtant tellement quelqu’un de merveilleux.

Alors, voilà. Je parle finalement très peu de tout ce que j’ai vécu auprès de ma mère, je n’aime pas faire ma causette, je le fais déjà trop à mon goût. Mais aujourd’hui particulièrement, je pense à elle. La vie est tellement simple aujourd’hui mais elle n’est plus là. Mais ça me réconforte de me dire qu’elle est là avec moi dans chaque consultation, que je suis le médecin et la personne que je suis en partie grâce à elle et j’avais envie de parler d’elle…et des remerciements que je lui dois..

 

forever young

9 réflexions au sujet de « Remerciements… »

  1. Très beau billet ! Je me retrouve dans plein de choses tout au long de la lecture.

    J’ai aussi l’impression d’avoir acquis cette faculté de me mettre à la place des gens. J’ai passé mon enfance à être plusieurs moi, à adapter ma façon d’être et mes « secrets » selon les gens que je côtoyais…
    Du coup, j’ai toujours bien pris les réveils de 3h du matin pour des bobos, parce que j’arrive à les comprendre assez facilement dans 95% des cas ; il suffit d’interroger les patients en partant du principe qu’ils ne sont pas là pour nous emmerder et la raison de leur consultation nocturne est (presque) toujours une évidence, je trouve. (Ou alors j’ai eu de la chance pendant mon internat :D)

    Et puis j’ai aussi eu à courte échelle (1 mois) ce regard côté patient qui me permet de savoir exactement à quels médecins « videurs-remplisseurs de lits » je ne veux pas ressembler.

    Bonne journée, Milie, et au plaisir de te rencontrer un de ces quatre lors d’une IRL… enfin un congrès 😉

  2. J’ai envie de te dire que je t’aime mais j’ai peur que ton mari le prenne mal. Mais bon, je te le dis quand même. Et puis j’ai envie de te voir aussi. Mais bon ça c’est un autre sujet. Du coup, en attendant, je t’envoie des tonnes de baisers.

  3. je pleure sur votre billet mais je pleure aussi sur ma maman qui nous quitte peu à peu, elle est vieille comme disent mes petits enfants, mais elle « est ma MERE » sa mémoire qui a commencé a flanché depuis des années, et maintenant le reflexe la déglutition qui ne fonctionne plus.. nous attendons avec elle ce grand départ et je pense comme vous, je suis comme je suis grâce ou à cause d’elle. et j’ai peur de ce départ.

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