Un jour de congé

Comme tout le monde, il est nécessaire de temps en temps d’avoir un jour de congé pour se ressourcer.

Je pense qu’il y a des métiers ou plutôt des emplois ( car tout le monde n’a pas la chance d’exercer un métier qu’il a choisi mais la plupart des gens occupent un emploi par nécessité) bien plus difficiles que le mien. J’ai conscience tous les jours de la chance que j’ai: faire ce que j’ai choisi , exercer en libéral et choisir mes horaires , faire quelque chose qui n’est pas physique ( pour moi c’est précieux) , se sentir utile. Parfois, je l’oublie un peu mais jamais très longtemps et fréquemment je m’efforce de me souvenir de la promesse que je me suis faite de toujours être à la hauteur de cette chance et de ne jamais oublier que je suis privilégiée.

Donc loin de moi l’idée de me plaindre de mon travail ou de ma vie.

Mais quand-même, parfois ce n’est pas facile, c’est fatiguant moralement,consultation après consultation, il faut écouter, réfléchir, être empathique, faire abstraction de ses propres pensées , parler/écouter/réflechir/écrire dans les dossiers/faire abstraction de l’enfant qui pleure/twitter tout ça en même temps. Il faut quand on raccompagne le patient à la porte remettre les compteurs à zéro et recommencer encore et encore. Surtout, il faut porter sur ses épaules le poids de chaque histoire, de la maladie, de la souffrance, de la misère d’une part et d’autre part le poids de la responsabilité, de savoir qu’à chaque consultation d’une manière ou d’une autre ,on a la vie de quelqu’un entre ses mains.   Et des fois les journées sont longues et dures. Physiquement et moralement il faut tenir !

Donc quand-même, c’est pas toujours très facile et quand un jour de congé arrive, cela fait du bien. On en profite à fond bien sûr. On laisse tout derrière soi, on ne pense pas au patient qui va mal , on ne culpabilise pas du fait que si un patient a besoin de nous , nous ne sommes pas disponibles , on ne fait pas de paperasse, de compta, on ne s’arrache pas les cheveux tout un week-end à faire sa première 2035, on ne pense pas au cas qui nous a posé problème, on n’a pas de lecture médicale, on n’essaie pas de se former, on ne lit pas prescrire aux toilettes. On fait le vide total.

Prenons l’exemple d’une journée de congé où aucune vraie contrainte ne m’attend ( ce qui arrive disons le à peu-près jamais.Je passe sur toutes les tâches du quotidien (rangement,ménage,paperasse,courses etc ) que clairement je ne fais pas! Déjà,il faut l’avouer,je ne suis pas une parfaite femme d’intérieur/épouse/maman , mais en plus si par hasard il se trouve que j’ai une journée de congé, je ne vais quand-même pas la passer à faire tout ce que je n’ai jamais le temps de faire mais qu’il faudrait faire quand-même, je vais la passer à faire ce que j’ai envie ,c’est à dire rien. Donc imaginez que les moments manquants de ce récit sont comblés par le visionnage de séries télé, un bon bain et dans le meilleur des cas une sieste.

Donc, dans ce monde idéal où je n’ai rien à faire, je me dis que je vais enfin pouvoir faire la grasse matinée. A 9h, après avoir vaguement entendu mon parfait mari se lever pour préparer et emmener ma fille à l’école et avoir fait dans un demi-sommeil un bisous à celle-ci, j’entends un texto mais je fais la sourde oreille, puis la vibration à nouveau du téléphone qui sonne. Le texto,c’est une amie qui me demande si c’est normal qu’elle n’ait pas eu ses règles à l’arrêt de sa pilule et le coup de fil c’est l’adorable secrétaire de mon cabinet secondaire ( oui je suis comme ça moi, j’ai un cabinet secondaire!) qui ne sait pas que je ne travaille pas mais qui me demande si je peux faire une visite d’un patient que je connais bien dont le médecin est absent ( je dis non car je suis une mauvaise personne et que c’est mon jour de congé , et je répond non au texto aussi parce que ce n’est pas normal ) Gentil mari repasse parce qu’il a oublié quelque chose .Bon ça y est je suis réveillée, autant en profiter pour faire quelque chose ( c’est à dire rien). Pendant cette matinée à ne rien faire, je reçois quelques appels: le médecin de ma mère en visite chez elle veut savoir ce qu’il doit noter sur l’ordonnance, ma grand-mère très gentille m’appelle pour prendre des nouvelles ( honte sur moi que ce ne soit pas l’inverse ) et me raconte de long en large ses non-problèmes de santé en concluant comme à son habitude que « enfin ,ce n’est pas grave ,il y a pire  » et mon père veut savoir ce que je pense des gouttes pour les oreilles que le médecin a prescrit la veille à ma ( très) petite soeur.

C’est déjà l’heure d’aller chercher ma fille à l’école, ça passe très vite, j’arrive cheveux mouillés en courant. Je dis bonjour à la camarade de classe de ma fille qui est aussi ma patiente occasionnelle, et la maman de son copain préféré, mon amie par ailleurs, me rappelle de ne pas oublier de tamponner le certificat de colonie de son ainé. Je demande à la merveilleuse nourrice de ma fille sur qui je peux toujours compter et sans qui je ne survivrais pas de la prendre à 16h30 parce que moi j’ai un truc à faire ( ou pas), elle me dit que je prenne mes ordonnances  parce que un de ses fils tousse et que elle, elle a la rate qui se dilate ( non je ne me moque pas de son hypocondrie ) .

En bonne mère que je suis, j’emmène ma fille manger au quick, car je n’ai pas eu le temps de faire à manger, trop occupée à ne rien faire. Pendant qu’une de mes patientes (bon quand je dis mes patients, j’exagère un peu, je veux dire patients des 2 cabinets où je travaille depuis plusieurs années voire même des trois quatres autres des environs où j’ai travaillé et de l’hôpital en face où j’ai fait à peu près tous les services en tant qu’interne: du coup, ça fait beaucoup de monde mais ce ne sont pas littéralement mes patients ) me prépare ma commande, je regarde autour de moi voir combien de « patients » je vais rencontrer.Je pourrais aller au Mac Do mais c’est pareil, j’ai aussi une patiente qui y travaille et puis j’y suis allé hier,il faut équilibrer son alimentation. Pour faire le trajet jusqu’au manège de l’autre côté du centre commercial, c’est statistique je rencontre au moins un voire deux visages familiers. Ce qui est plus rare mais qui arrive quand-même , c’est de rencontrer un patient au rayon sous-vêtements .

Tout le monde à ce moment de la lecture est en train de se dire, mais il ne faut jamais travailler près de là où on habite. C’est vrai mais …

J’habitais la ville d’à coté mais j’ai voulu habiter cette ville car je l’aime vraiment bien, je voulais habiter à côté de ma perle de nourrice pour que ma fille aille à l’école ( taguée ) près de chez elle, parce que c’est un quartier chaleureux à l’opposé de mon cabinet et que si j’évite le centre commercial et les fêtes municipales, je suis à peu près tranquille .Et puis il y a probablement une partie de moi que ça ne gêne pas tant que ça .J’aime bien cette atmosphère petite ville où tout le monde se connait plutôt que anonymat des grandes villes .Et je pense que j’aime que mes patients sentent que je suis comme eux, on peut discuter de différentes activités proposées par la ville, on a des choses en commun. C’est juste un peu la honte quand ma fille pique le seau et la pelle d’une patiente au bac à sable.

Après avoir déposé ma fille à l’école, je vaque à diverses activités.Il n’est pas impossible que pour me détendre, je regarde une série médicale dont je ne me lasse jamais . Je reçois un texto pour un certificat d’aptitude au sport  et mon mari me demande si je peux rappeler son cousin qui s’inquiète parce que son bébé à de la fièvre.

D’ici le soir, j’aurai également rappeler une amie pour les résultats de prise de sang de sa belle-mère et reparler à mon père car ma soeur a toujours mal à l’oreille , lui d’ailleurs a toujours ses douleurs dans les jambes qui l’empêchent de dormir.

Et gentil mais douillet mari a un lumbago, il va encore trouver que je manque de compassion.

Je me dis que quand-même aujourd’hui, j’ai été un peu sollicitée mais cela me fait penser qu’il y a eu pire. Je me souviens de la fois  en troisième année de médecine dans le bus où mon père m’a lu les résultats de son échographie :c’est quoi un séminome ? ( un cancer qui n’en était pas un) , le repas chez ma tante où une voisine que je n’ai pas depuis plus de dix ans me montre dans la cuisine entre le fromage et le dessert son frottis dont les résultats étaient un petit peu cancéreux, la fois ou la grand-mère de mon mari a été enfin d’accord pour être hospitalisée mais seulement dans mon service, les décisions de ne pas réanimer, et tant d’autres  …

Cela est sans fin, bien évidemment, c’est parfois difficile à porter pour des petites épaules mais que ceux qui ont pu se reconnaitre m’excusent si j’ai donné l’impression de me moquer ou de me plaindre. Surtout, surtout , continuez à me solliciter , n’hésitez pas car non seulement je le fais avec la meilleure volonté du monde et en plus c’est souvent le seul moyen que j’ai pour vous rendre tout l’amour ou l’amitié dont vous m’entourez, pour me sentir moins redevable de tous les services que vous me rendez .Surtout , surtout ne m’enlevez pas ce plaisir…

Quant à ceux qui ont dans mon entourage été très malades, la difficulté d’avoir eu à assumer le rôle de médecin et de proche à la fois est compensée largement par tout ce que le fait d’avoir été médecin m’a permis de leur apporter, en terme de prise en charge, et de soulagement et par le lien que j’ai pu grâce à cela partager  avec eux .

En tout cas , cela fait du bien une journée de congé, de se vider la tête …Je vais pouvoir partir dormir chez ma mère malade détendue prête à aborder le nouveau challenge médical que la nuit viendra m’apporter …

 

 

6 réflexions au sujet de « Un jour de congé »

  1. Moi aussi j’aime bien rendre des services à mon entourage (mais pas prendre en charge les problème de santé de mes proches ce qui me met dans un état de stress horrible). En revanche rencontrer des patients dans ma vie privée…JE DETESTE!
    Le pire étant ce patient rencontré vers 21H30 sur le parking de l’Hôpital (on n’a pas idée de trainer là) alors que je me rendais au Tonus déguisée en Sado Maso (avec robe en cuir,collier de chien, fouet…) et qui m’a parlé pendant 10 min comme si de rien n’était…

      • Bon , la boutonnologue , tes histoires sont toujours plus rigolotes que les miennes :il faut qu’à l’instar du Dr Who : hein Dr Who ? vous deveniez contributeurs sur mon blog . Dr Who , je te publie bientôt et vous deux : je prends commande : sujet libre…

  2. Autant j’aime habiter dans le même petit patelin où je bosse, autant je déteste ne pas pouvoir séparer privé et professionnel…
    Ca m’énerve que ma super nounou me demande de regarder la gorge de son grand/le genou de son petit, à chaque fois que je vais chercher ma fille…
    Pas de soucis, si il faut et qu’il y a besoin, je prend le temps, on discute, je leur donne toute l’attention dont ils ont besoin, mais AU CABINET, pas ailleurs…

  3. Ping : 1 an 5 mois | Journal de bord d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis

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