abstraction

Certaines journées sont plus dures que d’autres .Pour être médecin généraliste, il faut pouvoir à chaque nouvelle consultation faire abstraction des ses propres problèmes , de ses propres sentiments. Il faut une certaine disponibilité du corps et de l’esprit pour consacrer à chaque consultation l’attention qu’elle mérite.

Pour le corps , c’est parfois difficile , quand la liste de patients est longue le matin au réveil, il faut vraiment une grave maladie pour ne pas y aller et encore plus de courage -sauf super secrétaire- pour annuler tous les patients. Donc rhume, angine, migraine, gastro, grossesse (oui je sais la grossesse n’est pas une maladie enfin quand-même ) ,rien de tout ça n’arrête le généraliste. Alors les journées sont longues, à écouter des gens se plaindre de la même chose ou de moins, à leur faire des arrêts ( je ne me plains pas, personne ne m’a empêchée d’être salariée, je suis jalouse c’est pas pareil) , à se concentrer pour faire son travail, patient après patient. L’avantage c’est que l’on peut partager ses expériences et ressentir de l’empathie pour le patient « oui , je connais les nausées du 1er trimestre, c’est affreux, horrible,plus jamais j’aurai d’enfants, et les hémorroides vous en avez ? non vous ça va ah bon… ». On peut se prendre en exemple « Vous voyez moi je vous tousse dessus depuis tout à l’heure , et bien je n’ai pas d’antibiotiques ! ». Bon être aphone, c’est plus difficile , et en plus je fais peur aux enfants , mais on se débrouille , quand on n’en peut plus, on ferme la porte , on pleure un bon coup et on fini par voir la fin de la journée.

Pour l’esprit, c’est plus difficile . Quand les soucis sont petits, ça va, au contraire,  parfois l’abstraction est telle qu’on n’y pense pas pendant toute la consultation .Rien de tel que de s’occuper des autres pour oublier ses propres problèmes. Mais quand la souffrance ou la préoccupation est telle qu’elle nous submerge, qu’on ne peut pas penser à autre chose, qu’on ne peut pas détacher ses yeux du télephone posé à côté, il se passe un phénomène un peu bizarre de détachement de soi, comme si on s’observait faire les choses (et les faire mal en plus) mais qu’on pensait à autre chose pendant ce temps ( Ma fille est malade , ma mère est en réanimation, est ce qu’il va m’appeler, ma meilleure amie est en train d’accoucher ).Comment s’occuper correctement des patients et de leur besoins quand on ne pense qu’à ses propres besoins ,envies et angoisses.

Alors je demande pardon aux patients, victimes de mon égocentrisme passager. Ont-ils remarqué aujourd’hui que mon but était d’en finir au plus vite ?( au point de ne même pas en faire payer certains ), ont-ils remarqué mon manque de zèle ,mon manque d’intérêt pour leurs problèmes? J’ai essayé de donner le change  mais bon…Et merci à tous ceux qui sont restés chez eux aujourd’hui…J’essaierai  de faire mieux la prochaine fois , mais même un médecin à le droit  d’avoir des problèmes personnels  ,d’être malade , triste amoureux ou inquiet …

8 réflexions au sujet de « abstraction »

  1. Ce sont les patients que je trouve parfois un peu trop égocentriques… oui nous sommes des professionnels mais avant tout des êtres humains, et non on ne peut pas être au top 24h sur 24. Je me permets parfois de leur rappeler gentiment que tout comme eux, j’ai besoin de dormir, manger et que j’ai aussi mon poids de problèmes personnels à porter…

  2. Bonjour, moi, en 20 ans d hotesse pour une compagnie aerienne, je me fais un devoir de ne rien laisser transparaitre de mes emotions negatives ou problemes de sante , certes, il y a des fois comme aujourd hui c est dur de travailler 12h avec une arthrose de l epaule mais ca serait un peu gacher le plaisir de mes passagers de leur avouer que tout n est pas rose. On est la un peu pour les faire rever et une hotesse souriante mais triste ou nostalgique, je n y arrive pas. Moi aussi avec certains principes a la noix vieille ecole…
    Genial ce blog, je crois que je vais polluer sans mauvaise intention les commentaires car je vous trouve tres humaine et ca, de nos jours, cela fait de plus en plus defaut. Que de clients me remerciant de ma gentilesse et mon humanite me rasserenent quand a ma sincerite envers eux… Desolee pour les erreurs lexicales du fait de mon ipad….oh le vilain , l abject…

  3. A mon tour alors 😉
    Il y a 4 ans je perdais ma mère (cancer du sein). J’étais médecin généraliste remplaçant, je ne voyais même pas l’intérêt de m’arrêter ; comme par hasard 2 mois plus tard je faisais une grippe carabinée comme je n’en ai plus jamais fait ; j’ai continué à consulter mais j’étais un peu agressif (céphalée, ouch) lorsqu’on me demandait des « poudres de perlimpimpin » et manque de bol j’étais dans un cabinet « clientéliste » : si je donne pas de Maxilase, je « fais perdre des patients » –> viré. merci aux généreuses consoeurs qui savaient pertinemment que j’étais en deuil+grippé et surtout n’ont vu que leur propre intérêt . Résultat j’ai appris à me méfier de certains de mes confrères/soeurs dont l’humanité/la « gentillesse » est parfois très proche du portefeuille. (chers patients, méfiez vous des médecins « gentils »).

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